Il y a l'Estrie de Sutton et d'autres coquets villages bordés de boutiques attrayantes, de bonnes tables et d'auberges douillettes, parfaites escapades pour les Montréalais en quête d'évasion. Mais l'Estrie peu fréquentée, celle des campagnes et des chemins de travers où l'on croise sans doute plus de tracteurs que de touristes, existe encore. Virée au pays de Richard Séguin, sur des sentiers chargés de poésie.

«Pardon, je cherche le centre-ville, pourriez-vous me dire où il est?

-Vous y êtes, monsieur. En plein milieu.»

Cet échange a été surpris à Saint-Venant-de-Paquette un mardi de fin d'été, mais aurait pu l'être tout autant n'importe quel autre jour, tellement il est fréquent ici. Niché aux confins de l'Estrie, à 205 km de Montréal - contre une dizaine de la frontière avec les États-Unis -, le village est de ceux dont on oublie un peu l'existence. Il ne compte même plus 100 habitants l'hiver, à peine davantage l'été. Une goutte dans un océan de prairies, qui n'a même pas de petit dépanneur où acheter des bonbons à cinq cents ni de station d'essence pour signaler aux automobilistes sa présence. La plupart passeront donc tout droit. Sans s'arrêter. Belle erreur.

Car Saint-Venant-de-Paquette n'est pas un village comme les autres. C'est ici que le chanteur Richard Séguin s'est établi au début des années 70 pour trouver le calme et l'inspiration. Ici qu'il a oeuvré pour l'implantation d'un sentier unique en son genre au Québec, où se marient comme il se doit deux âmes soeurs: la poésie et la nature.

Avec l'aide d'un professeur de littérature du cégep de Sherbrooke, Hercule Gaboury, des horticulteurs de l'Institut de technologie agroalimentaire et d'une bonne équipe de bénévoles, un parcours a été imaginé pour rendre hommage à une trentaine des poètes de l'Estrie et du Québec et à leurs écrits évoquant la région, un arbre, une plante, une fleur, alouette. Entre Alfred DesRochers, Félix Leclerc, Marie Uguay et Louise Forestier, il y a autant d'hommes que de femmes, de disparus que de vivants.

Le visiteur est maître de son temps. Il a le loisir de s'arrêter à chacune des 11 stations du circuit pour y lire tous les poèmes et leur mise en contexte, ou ne choisir que ceux des auteurs qu'il connaît ou préfère. Et si cela ne suffit pas, il n'y a qu'à tendre la main vers l'une des mini-bibliothèques en forme de cabane d'oiseaux installées en pleine forêt. Depuis deux ans, la technologie s'est (un tout petit peu) introduite avec le lancement d'un audioguide avec lequel on suit le récit de l'une des pionnières du village, Hermine Malouin Lefèbvre. On s'arrête avec elle dans l'église-musée, l'une des plus anciennes entièrement construite en bois du Québec, restaurée au début des années 2000, puis au cimetière, devant l'ancien magasin général.

Hermine s'étonne de voir que les sculptures de Roger Nadeau bordant tout le sentier ont été faites en pierre des champs. «On a passé tellement de temps à les enlever au printemps!» Avec elle, plus que la poésie ou la nature, c'est l'histoire du Québec d'antan qui a la vedette. Et Richard Séguin un peu aussi, puisqu'il signe la musique d'ambiance.

Le circuit se termine à la Maison de l'arbre, à la fois (petit) centre d'interprétation et café où l'on sert des biscuits et des gâteaux faits maison, ainsi que des assiettes de produits de la région (truite fumée, fromages fermiers) dans de la vraie vaisselle, avec des couverts réutilisables. Une visite en adéquation avec le respect de l'environnement, de A à Z.

Cinq questions à Richard Séguin

Pourquoi vous êtes-vous installé à Saint-Venant-de-Paquette?

J'ai acheté une terre ici avec ma compagne Marthe en 1973. On était à Magog, où on avait ouvert le Café du quai, mais les seules terres accessibles dans la région étaient près de Coaticook. C'était vraiment pas cher. Les nouvelles lois [sur la protection du territoire et des activités agricoles de 1970] avaient fait des ravages et découragé beaucoup d'agriculteurs, alors que nous, on voulait faire un retour à la terre.

Comment avez-vous eu l'idée de ce sentier?

J'avais vu une installation semblable en Europe. Quand le village a été inscrit sur la liste des villages dévitalisés du Québec [par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire] on s'est réunis avec le maire pour trouver des idées pour ne pas laisser le village mourir. J'ai soumis l'idée très simple d'associer la poésie à la nature. Puis les gens ont embarqué et cela s'est fait de manière très collective. L'architecte sherbrookois Jean Mailhot a réalisé les plans de la Maison de l'arbre gratuitement, et Roger Nadeau, les sculptures.

Qu'est-ce que le sentier a changé pour les habitants de Saint-Venant-de-Paquette?

La fierté d'habiter dans la région et l'étonnement d'être nommé par d'autres. Puis le sentier a amené d'autres choses: des circuits de vélo, la nuit de la poésie, des spectacles à l'église. Il est porteur d'autres idées. On aimerait maintenant que des commissions scolaires viennent faire un tour pour initier les jeunes à la poésie. Que les mots habitent avec le paysage rural ou le paysage urbain, cette liberté de donner à lire la poésie dans les lieux publics démontre à quel point les poèmes sont vivants, qu'ils ont une vie dans l'espace et le temps, et nous amènent une façon différente de voir le réel, de le penser autrement.

Qu'aimez-vous de Saint-Venant-de-Paquette?

J'y suis tellement attaché! J'ai composé toutes mes chansons ici et je sens le besoin d'être ici. Le rapport avec le temps change en étant loin, je me sens moins happé par les événements, plus libre. Je côtoie la vie au quotidien, je suis loin du clinquant. [...] Il y a quelque chose de particulier avec le fait de vivre dans les montagnes. Certains ont besoin de la mer pour se sentir en vacances: ici, c'est le pays du vent.

La création du sentier vous a-t-elle rassuré sur la survie du village?

Je suis inquiet pour tout ce qui s'appelle régions au Québec, pour tout ce qui est de leur vitalité culturelle. Un regard décentralisé de Montréal est essentiel pour dire qu'on peut habiter et rester partout au Québec.