Ville-Marie a gagné notre concours du plus beau village du Québec. Pour en découvrir les plus beaux secrets, nous avons visité la localité située dans le Témiscamingue avec quelques-uns de ses habitants. La beauté, ici, a beaucoup à voir avec le sourire des gens... et un lac majestueux.

C'est Rose-Marie Scrive qui va être contente en apprenant que Ville-Marie a remporté le concours du plus beau patelin du Québec lancé par La Presse. Elle a promis de sauter au plafond en criant de joie. «Enfin, je vais essayer, parce qu'à mon âge respectable - que la coquetterie lui interdit de préciser! - ça va être un peu difficile...» On ne lui en tiendra pas rigueur. Elle a ce quelque chose qu'on a vu bien souvent à Ville-Marie: un sourire magnifique qui pardonne tout.

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Elle nous a fait entrer chez elle sans même nous demander notre nom, nous priant sans attendre de nous asseoir confortablement dans le salon de sa maison centenaire surchargée d'instruments de musique et de souvenirs d'une vie bien remplie, bien heureuse. Rose-Marie a beaucoup voyagé. L'Europe, la Côte d'Azur, surtout, elle a vu et aimé. Mais c'est ici qu'elle a choisi de s'ancrer. «Parce que c'est ici que les paysages sont les plus beaux, ici que les gens sont les plus gentils. C'est si calme!»

Cela dit, même Rose-Marie ne le nie pas, Ville-Marie n'est pas de ces coins de pays dont on tombe amoureux à l'instant même où l'on en franchit les limites, foudroyé par la beauté d'un clocher d'église ou d'une enfilade de maisons colorées. Pour succomber, il faut en gagner le coeur, découvrir celui qui nous est vanté 100, 1000 fois par jour, celui sans qui, vraiment, personne ne s'imaginerait vivre ici: le roi et maître des lieux, le lac Témiscamingue.

Et il en jette, ce lac majestueux aux dimensions aussi impressionnantes sur papier (110 km de long, 300 km2 de superficie) qu'en berges et en eau. C'est une véritble mer intérieure! La rive opposée est celle d'une autre province - l'Ontario -, et celles de gauche et de droite semblent sous la domination totale de dame nature: bordées de forêts et de champs doucement vallonnés, qui s'étendent à perte de vue. Dans la marina, jusqu'à 95 bateaux sont prêts à larguer les amarres et partir à l'aventure.

C'est le lieu de tous les rassemblements. C'est ici qu'on trimballe en poussette les dernières preuves du baby-boom québécois, ici que les écoliers apprennent à nager après les classes, ici que les couples se tiennent la main à la brunante, ici que les jeunes font la fête sous les étoiles, ici que, tous les dimanches de l'été, ont lieu des spectacles en plein air, quand les journées sont chaudes, mais les nuits fraîches, au gré d'un microclimat particulièrement agréable. Le coeur du village n'est pas le perron de l'Église, le bar du coin ou le centre commercial. C'est un écrin indigo.

«Ce n'est pas compliqué: TOUT le monde a une chaloupe, un ponton, une barque, un bateau ici. On vit pour le lac», résume Audrey McFadden, 26 ans.

Il faut dire, aussi, qu'il s'en est passé des histoires ici! Comme au lac Memphrémagog ou au loch Ness, on raconte qu'un monstre sommeille dans ses profondeurs (on accordera davantage de foi à la théorie voulant qu'il s'agisse plutôt de bancs d'esturgeons ou d'achigans). Le diable y aurait aussi fait un tour, il y a de cela quelques siècles, pour enlever une jeune Algonquine refusant de prendre un mari mal-aimé.

Plus certainement, bien des liaisons amoureuses s'y sont nouées, à l'époque où le Météor, l'ancien navire assurant le transport et le ravitaillement des premiers colons, fut transformé en bar flottant, au grand désarroi du clergé qui voyait d'un très mauvais oeil ces fêtes données sur un bateau stationné juste devant le presbytère de Ville-Marie! L'alcool n'y manquait pas plus que les chambres à coucher... L'Église obtint qu'il soit coulé. Ses rares traces se résument à son dessin imprimé au-dessus de chaque panneau indicateur de nom de rue.

Le rêve des oblats

Ville-Marie peut se targuer d'être la plus ancienne localité de toute l'Abitibi-Témiscamingue, car c'est d'ici que fut donné le coup d'envoi de la colonisation de cette région immense, à la fin du XIXe siècle, sous l'impulsion des frères et des pères oblats, convaincus que le climat y était particulièrement propice à l'agriculture.

On promettait aux chômeurs montréalais l'«autonomie financière», en leur vendant une terre à défricher et à rembourser dans les six années suivantes. Grosse affaire. Une visite de la maison du frère Moffet, le site le plus intéressant à visiter aujourd'hui à Ville-Marie, remarquablement bien préservée, est essentielle pour saisir l'extrême rigueur des conditions de vie de cette époque pas si lointaine. Ou apprendre de savoureuses anecdotes, comme la signification de l'expression «ne pas aller chier loin», qui nous vient de cette période ou, plus on était nanti, plus la bécosse était située loin de la maison. On y apprend aussi l'histoire d'un vol digne d'un film western. En 1916, des voleurs de grand chemin ont fait exploser à grand renfort de bâtons de dynamite la première banque de Ville-Marie.

On ne pourra s'empêcher de regretter qu'il n'y ait pas plus de maisons centenaires dans Ville-Marie, outre l'impressionnante école en pierre des champs érigée par les frères oblats à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Les plus jolies constructions sont concentrées rue Notre-Dame - dont Chez Eugène, une auberge sympathique ou l'on se retrouve pour déguster les spécialités de la région ou boire un verre le jeudi soir - et rue Sainte-Anne, où trône l'un des derniers cinémas Art déco du Québec, nouvellement rénové, et où s'arrêtent régulièrement les chansonniers du Québec.

Accueil légendaire

Ce n'est donc pas tellement pour l'architecture que pour les couchers de soleil splendides sur le lac Témiscamingue et l'accueil si chaleureux des habitants de Ville-Marie qu'on s'y arrêtera. «L'Abitibi, c'est déjà quelque chose. Mais ici, il a fallu que j'apprenne à saluer tout le monde dans la rue, que je les connaisse ou non!», raconte Marie-Ève Gagnon, 31 ans, qui a repris il y a trois ans le Verger des Tourterelles avec son mari.

«Ils m'ont élu maire. Moi, un Belge! Si ce n'est pas être accueillant avec les étrangers, je ne sais pas ce que c'est!» renchérit Bernard Flébus, un maire autrement plus haut en couleur que la moyenne de ses homologues. Chocolatier, il a eu le coup de foudre pour Ville-Marie il y a 22 ans et n'a jamais mis un terme à son voyage. On ne le déracinerait plus d'ici pour rien au monde. «J'ai déjà déterminé que je veux être enterré ici, dit-il, entre deux saluts de la main. Tout le monde se connaît. Ça pourrait être pesant, mais c'est rassurant, on est comme une grosse famille.»

«La région n'est pas encore très touristique: c'est souvent la dernière que les gens visitent, ils n'ont pas d'attentes et découvrent quelque chose de vrai, d'authentique, qui les séduit. On est un trésor caché», dit Audrey McFadden, la jeune propriétaire de l'auberge Chez Eugène.

Il y a deux semaines, elle aurait déjà parié gros que Ville-Marie allait l'emporter: «On est excellents pour se mobiliser pour vanter notre coin de pays. On en est tellement fiers!» La candidature de Ville-Marie a reçu plus de 100 000 votes, soit plus de 40 par habitant!

Rose-Marie Scrive, elle, espère qu'elle verra plus de touristes défiler devant sa maison cet été qu'à l'habitude. «Vous allez revenir, n'est-ce pas?», nous a-t-elle lancé sur le pas de sa porte. Elle nous a promis un pot de gelée de groseilles de son jardin. La beauté d'un patelin, ça englobe bien des choses. Y compris un pot de gelée pour les tartines du matin.

Ville-Marie, ville ou village?



Des lecteurs remarqueront sans doute que, selon la Commission de la toponymie du Québec, Ville-Marie est officiellement une ville et non un village. Nos conditions de participation stipulant que les localités en lice ne devaient pas dépasser les 5000 habitants, nous avons néanmoins décidé de conserver sa candidature. Ville-Marie compte 2595 habitants.

Superficie du Lac Témiscamingue : 300 km2

Participation au concours: 100 000 votes

Colonisation : fin du XIXe sciècle

Population de Ville-Marie : 2595 habitants