Il y a 100 ans, tous les villages, ou presque, avaient le leur. On y passait pour acheter de la farine, une pelle, une robe pour la petite dernière... Surtout, on venait s'informer des dernières nouvelles (ou colporter les derniers potins.)

Jusqu'au milieu du XXe siècle, le coeur des villageois battait au rythme de leur magasin général.

Avec l'avènement de l'automobile, leur règne s'est terminé pour faire place à celui des centres commerciaux et des grandes surfaces. Seuls quelques rares magasins généraux ont survécu, parfois au prix d'un changement radical de vocation. D'autres sont morts, avant d'être ressuscités par des amoureux du patrimoine qui en ont fait des musées ou des boutiques raffinées.

Pour chacun des magasins généraux toujours ouverts, les anecdotes abondent, racontées par les nouveaux marchands généraux. Comme ce bâtiment datant de 1803, tiré par des chevaux en 1862 jusqu'à Maskinongé (un trajet d'un kilomètre et demi) pour s'ajouter à ce qui allait devenir le magasin général Lebrun. Ou ces sacs d'antan sur les murs du magasin Paré, qui affichent le numéro de téléphone de l'endroit: 3. Tout court. Indicatif régional? Inexistant!

Tournée de six magasins généraux à découvrir.

Le communautaire

Magasin général Paré

Quand Narcisse Théodule Paré a ouvert un magasin général dans le sous-sol de sa demeure de Deschambault, en 1866, il ne se doutait pas que cinq générations plus tard, ses descendants tiendraient toujours le fort. Dans son cadre en bois bien accroché au-dessus du tiroir-caisse, le portrait du patriarche domine la boutique, fréquentée par des habitués. Les clients viennent y acheter un billet de loto, un café ou un petit sac de papier rempli de cerises, avant de piquer une jasette sur le pas de la porte. «Tous les matins, j'ai mes pères Ovide qui viennent pour s'obstiner», lance Georges Genest, en faisant référence au personnage de commère des Belles histoires des pays d'en haut. M. Genest a travaillé pendant 44 ans entre ces murs. Quand il a commencé, à 14 ans, il gagnait 1,50$ par jour. Il a même dirigé le magasin pour les Paré pendant 25 ans. Il connaît tous les clients par leur prénom, prend des nouvelles de chacun. Il est la mémoire vivante de ce lieu qui a su conserver l'ambiance conviviale (et le décor unique) du magasin d'antan.

À l'étage, une foule d'objets d'époque remplissent les tablettes, à la manière d'un musée un brin bordélique qu'on peut visiter à notre guise. «Au début, le magasin vendait de tout, même des cercueils», lance Georges Genest. La preuve: cette facture, datant de 1918. Dix-huit dollars, pour des frais funéraires, cercueil inclus!

Les samedis, jusqu'au 1er octobre, un marché public s'installe juste devant le magasin général. Des producteurs locaux viennent y vendre fromage, miel, viandes biologiques...

104, rue de l'Église Deschambault-Grondines 418-286-3133

L'historique

Magasin général Lebrun

Planté en pleine campagne, à l'ombre de grands arbres, le magasin général Lebrun semble sortir tout droit d'une autre époque. Lustres, comptoirs, planchers: rien n'a changé depuis le début du siècle dernier. Pas surprenant que Fred Pellerin ait choisi ce lieu ancré profondément dans le passé québécois pour illustrer la pochette de son premier album, Silence. Mi-boutique, mi-musée, quelque 7000 objets anciens s'y entassent, certains datant d'aussi loin que 1840: des jouets, de la vaisselle, des produits ménagers... Les sept phonographes, avec leurs pavillons rose, vert ou bleu richement décorés, méritent à eux seuls la visite.

À l'étage, dans la salle de spectacle baptisée L'Grenier, on peut admirer un pianola, l'ancêtre du piano mécanique, datant de 1904. «Il n'y en a que deux au Canada», lance Isabelle Thibeault, propriétaire du magasin depuis 2009, avec son conjoint Richard Vienneau.

Côté boutique, les propriétaires sillonnent le Québec pour trouver des produits originaux, tous de facture ancienne: bas tricotés, linges à vaisselle tissés, bonbons comme ceux qu'on pouvait trouver à l'époque. Les grands enfants ont refusé d'oublier boules noires, «paparmanes», barres taffy rose-blanc-brun et autre gomme à savon. On y trouve aussi des produits locaux, à savourer en pique-nique dans l'invitante cour du magasin.

Début novembre, la boutique se transforme en vaste magasin de Noël, avec sapin aux balcons et airs anciens pour réchauffer l'ambiance.

192, rang Pied-de-la-Côte Maskinongé, 819-227-2650, www.magasingenerallebrun.com

Le gourmand

Général Upton

À le voir droit comme un i, pimpant sous sa fraîche peinture jaune maïs, l'ancien magasin général d'Upton cache bien ses 130 ans. Dès 1880, on vendait derrière le large comptoir de bois tout ce qu'il fallait pour faire vivre les familles de la région. Le vieux comptoir est resté (tout comme le magnifique plafond en acier bosselé), mais les produits ont bien changé. Des pâtisseries décadentes (comme ces gâteaux poire et lavande, délicieusement parfumés), des quiches, des fougasses garnies de saucisson de canard, des pâtés au poulet servis dans des barquettes en fines lattes de bois, des biscuits. Tout (ou presque) est cuisiné à l'étage, par Denise Robert-Morel, dont les petits plats embaument le magasin jusqu'au rez-de-chaussée. De nombreux produits du terroir s'alignent aussi sur les tablettes.

La propriétaire, Ella Jacobs, a aussi le flair pour dénicher des objets qui sont autant de cadeaux à (s') offrir: des thés raffinés, des bijoux fabriqués par des artisans de la région, des foulards, des objets de décoration.

Derrière le magasin, une terrasse ensoleillée permet aux visiteurs de déguster un espresso, une glace du Bilboquet ou un chocolat belge signé Heyez. Dans le large hangar qui jouxte la terrasse, des artistes viennent à l'occasion exposer leurs oeuvres sur les poutres plus que centenaires.

305, rue Principale Upton, 450-549-6333 www.generalupton.com

L'authentique

Magasin général Robin, Jones and Whitman

À L'Anse-à-Beaufils, à 10 km de Percé, le temps s'est arrêté dans l'ancien magasin général. Entre ces murs vieux de 80 ans chargés de milliers d'objets d'époque et de photographies anciennes, des guides costumés racontent, avec moult anecdotes et la «parlure» gaspésienne, la grande et la petite histoire des habitants de la péninsule. Au cours de cette visite guidée colorée, une foule de personnages viennent relater, en maniant d'étonnants outils à l'usage oublié, la pêche à la morue ou la vie sur les chantiers où les hommes devaient s'exiler, l'hiver venu. Une visite patrimoniale dynamique et vivante.

Ouvert jusqu'au 1er octobre. Entrée: 9$ pour les adultes, 4,50$ pour les 7 à 17 ans, gratuit pour les 6 ans et moins.

32, rue Bonfils L'Anse-à-Beaufils (Percé) 418-782-2225, www.magasinhistorique.com

Le pratique

Magasin général Barnes

«Le magasin qui a tout ou presque.» Telle est la devise du magasin général Barnes, à Knowlton. Ouvert en 1890 par deux femmes (un exploit pour l'époque), le magasin a conservé sa fonction première. Encore aujourd'hui, on y trouve un éventail impressionnant de produits. Dans le dédale des rayons, on peut trouver des bonbons à l'unité, une perceuse, des pinceaux, une bouteille de vin ou des beignes aux patates douces cuisinés dans un village tout près. La marchandise a changé, mais l'esprit des lieux est resté.

39, rue Victoria Knowlton, 450-243-6480

L'estival

Magasin général de Georgeville

Sur les rives du lac Memphrémagog, le village de Georgeville se traverse en un éclair: un parc, une marina, une chapelle, quelques maisons (magnifiques) ... et un magasin général. Rénové en 2007, l'ancien W.N. Ives Store de 1898 a pris un coup de jeune: seuls les planchers sont restés. Pour le reste, des lustres aux murs de lambris de cèdre rouge en passant par le plafond d'acier bosselé, tout a été refait selon le modèle de l'époque. Le résultat est à s'y méprendre. D'avril à novembre, on propose aux estivants des produits de la région (du miel, des confits, des produits Pure Lavande), des plats préparés sur place, mais aussi des feux d'artifice ou de la viande de gibier.

4675, chemin Georgeville Georgeville, 819-843-2417

Photo: Olivier Pontbriand

Richard Vienneau et Isabelle Thibeault sont propriétaires du magasin général Lebrun depuis 2009. Fred Pellerin a choisi cet endroit, où le temps semble s'être arrêté, pour illustrer la pochette de son premier album, Silence.