Onze heures. C'est l'heure où le saumon a sauté sur sa mouche. À bout de souffle, après un rude combat de 1h45, Hazel Maltais, 72 ans, petit bout de femme déterminé, a réussi à amener la bête jusqu'à l'épuisette du guide.

Le record de sa vie: une prise de 40 livres.

La scène s'est déroulée l'an dernier, le 10 mai, sur le bord de la rivière Restigouche, à la frontière du Québec et du Nouveau-Brunswick. Hazel Maltais s'en souvient comme si c'était hier.

Après la pose pour la postérité, elle a remis son trophée à l'eau, toujours en forme malgré une lutte acharnée.

«Un moment de pur plaisir qui s'est finalement bien terminé pour le poisson, dit-elle. C'est toujours une grande joie de remettre un saumon à l'eau, même si j'aime bien en manger. Il pourra se reproduire. D'ailleurs, plusieurs de mes grosses prises ont survécu à ma rencontre. La pêche, c'est bien sûr le calme, la beauté de la rivière, mais c'est avant tout l'incroyable sensation d'avoir un poisson au bout de la ligne.»

Pour elle, voyage et pêche sont synonymes. Copropriétaire de la réputée boutique de pêche montréalaise Salmo nature (Orvis), elle passe un bon mois par année à taquiner la truite ou le saumon. «C'est mon père qui m'a initiée sur les rivières et les lacs de mon Nouveau-Brunswick natal. J'avais 5 ans. Étrangement, la sensation d'avoir un poisson au bout de la ligne me rappelle les moments de grâce où mon père me confiait les rênes de notre cheval en voiture. Ces petits coups sur les cordeaux de cuir qui dirigeaient la bête, je les ressens toujours quand le poisson se débat.»

Hazel Maltais est une adepte du saumon. «C'est un poisson très fort, plein d'énergie, qui saute dans les airs quand il est au bout de la ligne. C'est extraordinaire. Et puis, l'amener à mordre à la mouche et le capturer n'est pas si difficile qu'on le croit.»

Loin de se vanter en dépit de ses succès, elle s'estime très chanceuse, si bien qu'elle revient rarement bredouille.

À l'époque des clubs privés, Hazel Maltais devait se contenter de regarder les pêcheurs nantis jouer de la canne à mouche. Depuis la fin des années 70, la pêche au saumon est devenue beaucoup plus abordable, dit-elle. Rares sont les rivières québécoises où elle n'a pas trempé sa ligne depuis. Sa préférée demeure la Petite-Cascapédia en Gaspésie, à cause de ses eaux exceptionnellement limpides et de ses rives facilement accessibles.

Avec son compagnon, Paul Leblanc, un moucheur bien connu, elle s'est même offert un voyage aux îles Aléoutiennes, en Alaska, pour prendre du saumon du Pacifique. Un périple exceptionnel, mais coûteux. «Je peux vous dire que cette année-là, des mouches, nous en avons fabriqué des tonnes!»

D'ailleurs, le couple a déjà été sollicité par Postes Canada pour créer deux mouches artificielles afin d'illustrer des timbres.

«Nous sommes probablement le seul couple québécois dans le milieu de la philatélie à avoir chacun un timbre à son nom», lance-t-elle dans un grand éclat de rire.