Vous en avez soupé de la soupe aux pois, des oreilles de crisse et des fèves au lard? Plusieurs propriétaires de cabanes à sucre l'admettent eux-mêmes: beaucoup de Québécois n'aiment plus ce qu'ils mangent dans les érablières. Certains croient qu'il faut changer les choses, soit en modernisant le menu, soit en effectuant un retour aux sources.

«Des saucisses Hygrade dans le sirop, ça n'a pas sa place dans une cabane à sucre, soutient Hermine Bourdeau-Ouimet, propriétaire depuis 49 ans de L'Hermine, une cabane à sucre de Havelock, en Montérégie, et présidente de l'Association des restaurateurs de cabanes à sucre du Québec, qui compte environ 75 membres. Les Québécois veulent goûter aux véritables plats de leurs ancêtres et non pas manger dans des cabanes à sucre fast-food. À mon avis, l'authenticité, c'est la tendance la plus payante pour se démarquer de la concurrence.»

Mme Bourdeau-Ouimet plaide pour un véritable retour aux sources, non seulement dans les menus, mais aussi dans l'ambiance générale des lieux. Par exemple, pas question pour elle d'installer des conduits tubulaires dans son érablière. «Qui veut voir ça? Sûrement pas les urbains qui viennent une fois par année à la campagne», dit-elle. Le cachet, il faut le préserver, coûte que coûte.

Plusieurs propriétaires de cabanes à sucre abondent dans son sens, à quelques nuances près. S'ils s'entendent pour un retour aux sources, ils ne voient rien de mal à y ajouter une touche contemporaine. C'est le cas de Mylène Deschamps et Simon Bernard, jeunes propriétaires de La p'tite cabane d'la côte, située à Mirabel. Leur menu compte quelques entorses à la tradition: soupe aux trois pois (avec carottes et céleris) et omelettes aux fines herbes. En dessert, exit la tarte au sucre, on sert seulement des grands-pères dans le sirop.

Photo: Bernard Brault, La Presse

La cabane à sucre Scena du chef Patrice Demers dans le Vieux-Port, près de la place Jacques Cartier du marché Bonsecours.

«Notre menu traditionnel comporte une petite touche de raffinement qui met en valeur plusieurs produits de notre terroir, comme le jambon, qui provient d'une entreprise locale», explique Mme Deschamps. Cette différenciation entraîne un léger surcoût: leur repas coûte 25$ par personne, alors qu'on se gave d'un repas traditionnel pour 12 à 15$ dans certaines cabanes, en incluant les rabais de groupe. «Mais les gens ne rechignent plus à payer plus cher pour de la qualité. Le succès de la cabane à sucre du Pied de cochon, piloté par le chef Martin Picard (54$ par personne), le prouve de façon éloquente», constate-t-elle.

À l'érablière Charbonneau, une cabane à sucre en activité depuis 2005 au pied du mont Saint-Grégoire, en Montérégie, on a aussi modifié légèrement le repas traditionnel, en y greffant des plats typiquement canadiens, comme la tourtière et le ragoût de boulettes, et la façon de servir les clients. «En plus des légères modifications au menu, on a mis beaucoup d'efforts pour créer une ambiance chaleureuse, avec du mobilier imitation antiquité et de nombreux foyers de bois. Ici, on n'a pas de chaises en plastique ni de nappes à carreaux», explique Mélanie Charbonneau, la propriétaire. Autre distinction: on ne mange pas cordés à de longues tables. «Si vous êtes une famille de quatre, on va vous installer à une table de quatre, comme dans un restaurant», ajoute-t-elle.

Jean-François Perron, propriétaire du Domaine des trois gourmands, une sucrerie située à Saint-Alexis-de-Montcalm, dans Lanaudière, pourrait être qualifié d'hérétique. En plus de proposer la formule buffet, que plusieurs dénoncent comme étant trop peu traditionnelle, c'est un chef français qui dirige sa cuisine! «Quand j'ai acheté ma cabane à sucre en 2006, il existait déjà de nombreuses cabanes traditionnelles dans la région. J'ai donc choisi de proposer une solution de rechange», dit-il. Avec son ambiance moins folklorique et son menu qui va au-delà des classiques, le Domaine des trois gourmands connaît un grand succès. «C'est clair qu'il y a un marché pour un produit différent», dit-il.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Pour ceux qui n'ont pas envie de partir en cavale à la campagne, de se retrouver dans ces cabanes de types Disneyland pour touristes américains, il y a La cabane, sur les quais du Vieux-Montréal, installée dans un ancien hangar complètement rénové en verre et en acier et rebaptisée Scena.

Féroce concurrence

Selon une étude récente de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec, la Belle Province compte environ 320 cabanes à sucre de type restaurant, générant un chiffre d'affaires de 140 millions de dollars par année. Est-ce en augmentation, en baisse ou stable? Impossible de le savoir. «Chaque année, des cabanes ouvrent ou ferment», remarque Mme Bourdeau-Ouimet. Chose certaine, la concurrence est féroce pour attirer les amateurs, dans une saison qui ne s'étale que sur deux mois. D'où la nécessité, pour certaines, de se renouveler.

Menu réinventé ou retour aux sources? Peu importe la voie empruntée, tous nos interlocuteurs se targuent de reconvertir de nombreux Québécois au des sucres. «Beaucoup de clients me disent qu'ils n'allaient plus dans les cabanes, pour cause de mauvaises bouffes et de mauvais services, et qu'en nous visitant, ils ont redécouvert cette tradition», conclut Mylène Deschamps.

Photo: Robert Skinner, La Presse

Natacha Nicolas aide sa fille Sophie a voir l'eau d'erable à l'érabliere Charbonneau au Mont Saint Gregoire.