Quand on pense croisière, on pense au soleil, aux îles exotique et, inévitablement, aux paquebots luxueux. Le Nordik Express est tout autre chose : ce bateau-ravitailleur fait le chemin entre Rimouski et Blanc-Sablon toutes les semaines. À son bord, des voitures, des aliments et des dizaines de conteneurs destinés à des villages de la Basse-Côte-Nord impossibles à rejoindre par la route. Le Nordik, qui prendra sous peu sa retraite, accueille aussi des passagers qui veulent voir des paysage rares et faire un voyage mémorable.

Dans la timonerie du Nordik Express, le capitaine Beaumont manipules les commandes du moteur: le navire s'éloigne en douceur du quai de La Romaine. Simultanément, il donne ses ordres. Le timonier de quart les répète pour signifier qu'il a bien compris: «Trente à gauche!»

Quelques minutes plus tard, le navire est sorti du havre, mais le capitaine Beaumont garde les yeux rivés sur l'écran du GPS. Il continue à commander les changements de cap.

Ce n'est qu'après avoir dépassé les îlots qui affleurent entre le continent et le large qu'il laisse tomber: «OK, Philippe, c'est à toi!»

Philippe Dubé, le jeune troisième officier, prend les destinées du navire en main.

«Même lorsque je ne suis pas de quart, comme ce soir, on m'appelle cinq milles avant l'entrée au port et je reste sur la passerelle cinq milles après l'appareillage», explique le capitaine Patrique Roch Beaumont.

Le Nordik Express avait accosté au quai de La Romaine en milieu d'après-midi. L'endroit n'est la plupart du temps que fréquenté par les goélands et les embruns. À l'arrivée du bateau, le quai grouillait d'animation: des dizaines de personnes étaient venues accueillir les amis et les membres de la famille qui rentraient de Sept-Îles, voire de Québec ou de Montréal, où ils étaient allés magasiner, se faire soigner et prendre des bains de foule. La plupart avaient la peau mate et les pommettes hautes des autochtones. La Romaine est d'abord un village innu: 900 de ses 1100 habitants sont amérindiens et eux désignent leur communauté sous le nom de Unamen-Shipu. Pendant que les cris et les rires fusaient, la grue du navire s'était mise en branle et les conteneurs déchargés sur fond de grincements des poulies.

La Romaine est le plus gros des 14 villages de la Basse-Côte-Nord qu'aucune route ne relie au reste du Québec. Mais même dans les plus petites communautés desservies par le navire, comme à Harrington Harbour où il arrive en pleine nuit, il y a foule sur le quai lorsqu'il accoste.

Depuis 1988, le Nordik Express est la bonbonne d'oxygène de la Basse-Côte-Nord. C'est lui qui amène la viande, le lait, les légumes, les voitures et toutes les fournitures et les équipements indispensables au bon fonctionnement d'une communauté moderne.

Des touristes plus nombreux

Depuis la fonte des glaces, en avril, jusqu'au verrouillage des chenaux et des rigolets par la banquise, en janvier, le navire fait la navette chaque semaine entre Rimouski et Blanc-Sablon. En chemin, il fait escale à Anticosti et dans les principaux villages de la Minganie et de la Basse-Côte-Nord.

Avec sa coque pansue et son profil de mastiff, il n'a pas la silhouette élégante des yachts et des grands paquebots modernes. «C'est un ravitailleur conçu pour embarquer le plus de conteneurs possible», explique l'armateur, Louis-Marie Beaulieu, président du Groupe Desgagnés, qui exploite une flotte de 18 navires et pétroliers. «Le contrat de service que nous avons signé avec le gouvernement du Québec nous oblige à réserver une partie des places à bord et des cabines pour les résidants de la côte. Mais depuis quelques années, ça évolue de plus en plus vers le tourisme.» Et il y a de quoi! Avec ses villages profondément enchâssés dans des baies étroites, sa lisière d'archipels - on dénombre plus de 4000 îles égrenées sur 400 km entre Natashquan et Blanc-Sablon - ses rigolets et ses allures de bout du monde, la Basse-Côte-Nord est, pour des yeux de citadin, une des contrées les plus exotiques de la planète. L'absence de route pour y aller lui confère de plus une aura de mystère qui aiguise la curiosité. Le Nordik Express peut accueillir 225 passagers.

«C'est au printemps que les paysages sont les plus spectaculaires, note Louis-Marie Beaulieu. Le navire quitte Sept-Îles, où les feuilles commencent à pousser sur les arbres et il arrive sur la Basse-Côte encore prise dans la banquise, dit-il. Le chatoiement des reflets du soleil sur la neige et la glace donne des effets de lumière extraordinaire.»

À cette période, le Nordik reste parfois prisonnier de la banquise. Il faut alors faire appel aux brise-glaces de la garde côtière. Une quarantaine d'élèves du Petit Séminaire de Québec en ont fait l'expérience en avril 2003. Ils effectuaient le voyage, accompagnés par quatre professeurs, lorsque le navire s'est empêtré dans un corset de glace à 20 km au large de Blanc-Sablon. «C'est arrivé un 18 avril», se souvient Louis-Marie Beaulieu. «Après une semaine, nous avons décidé de les évacuer par hélicoptère. Le Nordik, lui, est resté bloqué par la banquise pendant neuf jours. Deux brise-glaces ont dû travailler sans relâche pour le dégager.»

Derniers voyages

Le Nordik Express a entamé sa dernière saison, en avril dernier. Le printemps prochain, il sera remplacé par un autre ravitailleur plus gros, plus moderne: le Bella Desgagnés. «Les résidants de la côte demandaient une amélioration, remarque Louis-Marie Beaulieu. Il y a parfois des délais de deux à trois semaines pour acheminer des voitures ou des camions. Et les installations pour les passagers seront plus confortables. Le navire pourra en embarquer deux fois plus.»

La demande n'augmente pas du côté des résidants et du cargo, car la population de la côte reste stable. Mais elle explose du côté des touristes. «Actuellement, les touristes qui veulent faire le voyage doivent s'y prendre un an d'avance pour réserver et la liste d'attente est longue.»

Depuis cette année, une agence coopérative lancée par les petits producteurs de forfaits de la Côte-Nord, Voyages Coste, affecte une représentante à bord. Elle renseigne des passagers curieux et leur propose des excursions guidées dans les ports d'escale.

Par cette belle soirée du mois d'août, ils étaient un peu plus d'une vingtaine à débarquer à Harrington Harbour pour effectuer la «visite aux flambeaux» de cette localité insulaire membre de l'Association des plus beaux villages du Québec». Le navire avait pris une demi-heure de retard à La Romaine, où les opérations de déchargement avaient été plus longues que prévu. Il était passé minuit, quand il s'était engagé dans l'étroit passage du détroit de l'Entrée. Comme la plupart des passagers, je suis sorti sur le pont pour jouir du spectacle. Éclairées par les projecteurs du bord, les falaises de l'île d'Entrée que nous longions étaient tellement proches qu'on avait l'impression de pouvoir les toucher en tendant la main. Je me suis souvenu de ce que le capitaine Beaumont m'avait dit quelques heures plus tôt: «Quand les vents soufflent du nord-est à plus de 30 noeuds, il risque de nous pousser sur l'île d'Entrée et on ne peut pas rentrer à Harrington. C'était le cas l'automne dernier. Sur le trajet du retour, nous sommes restés bloqués 20 heures à Tête-à-la-Baleine à attendre que temps se calme.»

Mais il n'y avait pas de vent, cette nuit-là, et nous avons franchi le détroit de l'Entrée sans encombre. Quelques réverbères extirpaient les silhouettes des maisons de leur gangue de nuit et des lampes à arc jetaient des lueurs blafardes sur le quai et les bateaux de pêche qui s'y agglutinaient. La place libre paraissait minuscule pour l'énorme masse du Nordik. Mais le navire s'y est glissé avec une précision chirurgicale.

Les frais de ce reportage ont été payés par Voyages Coste et par le Groupe Desgagnés. Infos: www.voyagescoste.ca et www.groupedesgagnes.com.

Combien ça coûte?

Pour le trajet de Natashquan (au bout de la route 132) à Blanc-Sablon, le forfait nuitée et repas coûte entre 203,98$ par personne en cabine économique (quatre couchettes et douches communes) et 294$ en cabine de luxe (deux lits, salle de douche privée) pour un aller simple (deux jours et une nuit) et entre 408,93$ et 678$ pour l'aller-retour (quatre jours et trois nuits). Par cabine de luxe, il ne faut pas imaginer le luxe des paquebots de croisière: il s'agit de cabine ayant un hublot permettant de voir la mer. On peut faire transporter sa voiture pour 411$ et donc revenir (ou aller) par Terre-Neuve et les Maritimes ou par la route Trans-Labrador qui rejoint Baie-Comeau. On mange bien à bord: le restaurant propose à prix abordables de la cuisine de type familiale. Il y a aussi un casse-croûte. Le passage et les nuitées en cabine sont également vendues sans les repas.