Manger du homard, c'est bien, mais partir en mer avec un pêcheur, c'est mieux. Surtout avec un Gaspésien de la baie des Chaleurs!

Il est à peine 4h quand L'Omirlou quitte dans la nuit noire le quai de Bonaventure. À la barre du petit bateau de pêche, Sylvain Arsenault est sérieux comme un pape pour sortir du havre, avant de filer plein sud dans la baie des Chaleurs. En ce petit matin des derniers jours d'avril, la baie porte bien mal son nom. Il fait moins deux degrés sans les facteurs vent, humidex et humanoïde tiré trop tôt de son sommeil... «Habille-toi très chaud, m'avait prévenue le capitaine la veille. On approche de la pleine lune, avec grandes marées et températures froides.» Tenue hivernale et imperméable requis, donc, car le temps s'annonce incertain. Tellement que Sylvain Arsenault ajoutait que je me lèverais peut-être pour rien à 3h, car il ne pourrait m'embarquer si le temps était trop mauvais!

 

Les harengs d'abord

C'est donc avec un grand soulagement que je monte à bord du bateau. Lorsqu'il s'éloigne des lumières de la route et du village, la mer est presque d'huile. Dans la cabine vaguement chauffée, Sylvain semble se détendre un peu. Nous y sommes trois, avec son aide-pêcheur, Guillaume Babin. Première étape du voyage : aller relever des filets de hareng à cinq milles marins des côtes.

En attendant, le capitaine se raconte : 20 ans de métier, deux mois de préparatifs au printemps, la pêche au hareng pour commencer la saison, puis celle du homard qui dure 10 semaines; le maquereau qui prend le relais, avec le crabe commun qu'on pêche plus au large jusqu'en octobre... Sylvain a ajouté en 2009 une corde à son arc en organisant des excursions «métier-pêcheur» pour ceux qui veulent vivre en direct l'expérience de la pêche côtière... quitte à se lever avant l'aurore!

À 4h30, quand le jour se lève, le capitaine tourne les yeux de son écran radar à la surface de l'eau pour repérer la bouée de ses filets de hareng : 20 en ligne, qu'ils remonteront patiemment à deux, avec l'aide d'un treuil, stoppant souvent pour démêler les mailles et retirer à la main, puis rejeter à la mer, de longues algues brunes et de petits crabes. Plus quelques harengs couleur argent scintillant dans le soleil levant. «Ce n'est pas la pêche miraculeuse ce matin», résume Sylvain une heure plus tard, alors qu'un phoque se pointe le bout du nez hors de l'eau.

Bon an mal an, le pêcheur sort tout de même chaque saison de ses filets 3000 à 5000 livres de hareng, dont une partie sert d'appât pour le homard.

Le froid est encore mordant quand le bateau repart vers l'est pour rejoindre un premier site de casiers à homards. «Ce n'est pas un temps pour pêcher. C'est un temps pour le poêle à bois», lâche le capitaine, sourire en coin. Il est l'un des cinq pêcheurs de homards de Bonaventure, sur à peine 200 en Gaspésie. Et, comme les autres, il s'inquiète des prix payés au pêcheur : «L'an dernier, c'était 4,50 $ la livre. J'espère qu'on va au moins garder ce prix-là cette année.»

Casiers «espions»

Sylvain repère ses premières bouées au large de la pointe Carleton. «J'ai sept cages toutes seules, explique-t-il, que j'utilise pour sonder la présence de homards.» Il relèvera ces «espionnes» une à une. La première contient deux magnifiques spécimens. Demain, à cet endroit, nos deux pêcheurs viendront placer une vraie ligne de casiers. Chaque ligne en compte six, avec une bouée aux extrémités. Le travail sérieux commence, selon un rituel (qui se répétera 235 fois) bien établi : Guillaume attrape la bouée à l'aide d'une gaffe pendant que Sylvain stoppe le bateau. Le capitaine file ensuite à l'arrière et remonte un premier casier à l'aide d'un treuil. Ils sont lourds, ces casiers plombés par une plaque de béton pour aller se poser sur le fond rocheux!

Un coup de reins et voilà la première hissée sur le plat-bord du navire, toute luisante d'eau. Sylvain en retire les homards emprisonnés. Un, deux, parfois trois, souvent aucun. S'ils ont la taille réglementaire et ne sont pas des femelles avec oeufs, ils sont envoyés queue première dans une boîte contenant des bouts de tuyaux. En cas de doute, Sylvain vérifie la taille avec un outil calibreur. «Il faut sept ans, dit-il, pour qu'un homard soit bon à pêcher.» Son record : un spécimen de neuf livres trouvé dans un casier, et un de 17 livres dans un filet!

L'aide-pêcheur entre ensuite en scène pour tirer les casiers les uns après les autres vers l'avant du bateau. Au passage, il nettoie la cage des algues, crabes, oursins, étoiles de mer qui s'y sont introduits, puis il pique au centre deux ou trois harengs comme appât. «Plus un petit homard si on en a, précise Sylvain. C'est mon truc. Il empêche les crabes et poissons de manger l'appât.» Une fois les six casiers remontés, Sylvain retourne au poste de pilotage tandis que Guillaume remet les cages à l'eau une à une.

Pendant que le bateau file vers les bouées suivantes, l'aide-pêcheur place des élastiques blancs et fleurdelisés (marque du homard gaspésien) sur chaque pince de la bête. Les passagers peuvent mettre la main à la «patte»! L'apprentie-pêcheuse s'essaie donc au maniement d'une drôle de pince qui permet d'écarter l'élastique avant de le placer au milieu de la pince du homard. Tout un art!

Guillaume me met vite en garde : «C'est mieux de commencer par la pince coupante parce que c'est celle qui fait le plus mal.» Le homard se débat en effet à grands coups de queue mais aussi de pinces pour échapper à l'emprise humaine! De peine et de misère, je parviens à mettre mon premier élastique en place. Au 20e homard (multiplié par deux pinces), je commencerai à comprendre comment retirer l'outil, d'un bon coup de poignet, tout en laissant l'élastique en place!

Attendre au frais

À 8h30, c'est l'heure de la pause dans le cockpit avant de rejoindre une deuxième zone de pêche, près de la pointe Bonaventure, où le même rituel se répétera pendant deux bonnes heures. Trois grosses boîtes auront alors été remplies de homards. Mais ils seront bien vite remis à l'eau... Les dernières bouées cachent en effet des cages-viviers dans lesquels les homards pêchés attendront au frais, un ou deux jours, leur départ pour l'usine.

Pour nous, c'est presque l'heure de rentrer à bon port. Goélands et fous de Bassan, qui ont caqueté au-dessus de nos têtes depuis le lever du jour, attirés par l'odeur du poisson, attendent leur dû. Lorsque Guillaume lancera à la mer une belle poignée de restes de harengs, il faudra voir les seconds plonger vertigineusement, en piqué, pour attraper le poisson et regrimper aussitôt dans les airs! Un spectacle de premier choix pour clore une belle matinée au pays des pêcheurs.

 

À savoir

-Excursions L'Omirlou à Bonaventure De mai à septembre : sorties en mer à 4h, 8h ou 14h selon le type de pêche et la période de l'année. Pour vivre la vraie vie des pêcheurs, on ne saurait trop conseiller la «totale» homard ou crabe (de 4h à 12h) à ceux qui ne sont pas des mauviettes! De juillet à septembre, on peut pêcher le maquereau ou la plie. 481 886-0472 ou 418 534-2955; www.lomirlou.com

-Cime Aventure Voici l'endroit rêvé pour se dégourdir les bras tout en admirant le paysage. Cette entreprise écotouristique propose en effet du printemps jusqu'à l'automne des descentes en canot de la rivière Bonaventure, l'une des plus limpides au monde. En prime, on dort dans l'un de ses beaux écogîtes sur pilotis. 1 800 790-2463; www.cimeaventure.com

-Bonaventure a 250 ans Pour fêter l'anniversaire en grand, 30 spectacles musicaux (en plus d'expositions, de festivals, de chorales et de pièces de théâtre) couvriront l'été de Bonaventure : du groupe métal Spacemak3er à Radio Radio, en passant par Paul Piché et les Feux Follet de la Louisiane. (www.250bonaventure.com)

-Le Festival d'été de Québec... à New Richmond Première présentation d'un partenariat spécial qui amènera plusieurs artistes du grand festival québécois dans la baie des Chaleurs. 418 392-5097