Longtemps, j'ai été une inconditionnelle de Charlevoix, de ses routes en montagnes russes, de ses promontoires avec vues imprenables sur le fleuve, de ses baies lovées dans des rochers blanchis par le sel.

Puis un jour, le hasard m'a fait quitter les splendeurs de la rive nord du fleuve Saint-Laurent et bifurquer vers la rive sud dont je ne savais rien sinon qu'un petit village en face de La Malbaie portait le nom d'un des plus beaux romans d'Anne Hébert.

 

«Il faut cultiver la mémoire comme une terre», écrit Anne Hébert dans Kamouraska. «Il faut y mettre le feu parfois. Brûler les mauvaises herbes jusqu'à la racine. Y planter un champ de roses imaginaires à la place.»

J'ai commencé à planter ces roses imaginaires dans Kamouraska, il y a plusieurs années. La beauté sauvage des champs de l'arrière-pays, l'incandescence des couchers de soleil sur le fleuve et la pureté de l'air saturé d'embruns marins et d'effluves de roses trémières m'ont immédiatement subjuguée.

Passée une première fois en coup vent, j'y suis revenue l'année suivante et puis l'année d'après, attirée par ces contrées à la fois sombres et mystérieuses, à la fois lumineuses et odorantes où les marées sont puissantes et les battures accueillantes et où l'on mange comme des rois, le pain frais, les pâtés maison et l'agneau de pré-salé.

Je me revois encore l'année dernière, debout sur la terrasse de la maison louée, le fleuve à mes pieds, le soleil tapant sur les rochers et ce silence d'une incroyable pureté s'élevant dans l'air. Un appel à la liberté. Mon regard émerveillé s'est promené longtemps sur le fleuve avant de doucement se poser sur la Malbaie qui scintillait au loin. Les pieds vissés sur la rive sud, les yeux rivés sur la rive nord, j'ai compris à cet instant précis ce que voulait dire «avoir le meilleur des deux mondes».