Lwów la polonaise, Lemberg l'austro-hongroise, Lvov la soviétique, Lviv l'ukrainienne. Amateurs d'histoire, de pot-pourri architectural, de cafés et d'églises, bienvenue à Lviv !

À travers les siècles, la capitale historique de la Galicie a été conquise et reconquise par à peu près tous les empires régionaux. Ce n'est qu'en 1991, avec l'indépendance de l'Ukraine, que les Lvivois sont finalement devenus maîtres chez eux et ont pu écrire leur histoire dans leur langue et dans leurs mots.

Et ils n'en sont pas peu fiers. « Lviv est situé sur des terres ethniques ukrainiennes et il constitue l'un des ganglions principaux du peuple ukrainien, la valvule de son coeur, le stimulant éternel de l'ambition, de la fierté et de l'aspiration à la liberté », écrit pompeusement l'auteur local Iouri Nikolichine dans un petit guide de voyage offert en plusieurs langues.

Lviv est en effet aujourd'hui l'un des principaux centres culturels et nationalistes du pays. Mais l'âme de l'Ukraine habite un corps formé principalement par ses anciens oppresseurs. La vieille ville, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1998, est un mélange d'architecture austro-hongroise et polonaise avec par-ci, par-là les traces des communautés juive et arménienne qui l'ont habitée.

Vieille ville

Toute visite à Lviv commence sur la place du Marché (Plochtcha Rynok), coeur de la vieille ville. En son centre se trouve l'imposant hôtel de ville, de style vénitien, complété en 1835. Il faut grimper les 306 marches en bois de son beffroi pour avoir droit à la meilleure vue périphérique sur l'ensemble de la ville. À 65 m au-dessus du monde, on constate que la partie historique a été heureusement épargnée par les horreurs architecturales de la période de domination soviétique (1945-1991). Les tours d'habitation grises sont concentrées dans les banlieues.

À travers les édifices aux couleurs éclatantes du centre-ville ressortent de nombreux clochers d'église, pour la plupart grecques-catholiques. Interdit par le pouvoir soviétique jusqu'en 1989, ce culte typiquement ukrainien, qui reconnaît l'autorité du pape, est en pleine renaissance. Il suffit, une fois redescendu sur terre, d'aller constater l'achalandage dans les églises pour s'en convaincre.

Lors de notre passage, une file monstre de centaines de personnes se dressait devant la cathédrale Saint-Georges. « Nous allons voir le voile de Véronique », a expliqué une grand-mère en patientant. Le métropolite de Lvov avait réussi à convaincre le Vatican de lui prêter pour deux semaines ce mouchoir sacré, qui aurait immortalisé l'empreinte du Christ lors de sa crucifixion. Le fait que son authenticité est encore plus contestée que celle du Saint-Suaire ne semblait pas décourager les jeunes et moins jeunes fidèles lvivois.

Étonnants cafés

Toute balade dans les rues pavées de la vieille ville est inévitablement interrompue par de fréquents arrêts dans les nombreux et charmants petits cafés qui y pullulent. Idem pour les galeries d'art et les boutiques de souvenirs qui, en plus des habituels t-shirts, tasses et autres pacotilles aux couleurs de Lviv, offrent des objets et vêtements originaux faits localement.

Parlant d'originalité, le café Masoch ne risque pas de décevoir les plus curieux. À son entrée se tient une statue de Leopold von Sacher-Masoch, auteur né du temps de Lemberg l'austro-hongroise, et inspirateur du masochisme. À l'intérieur, les clients téméraires peuvent profiter d'un petit supplément gratuit en se faisant servir leur verre : une mini-séance de flagellation. (Non, nous n'avons pas fait le test.)

Tout aussi singulier est le café Khoutine Pouïlo, dont le nom pourrait être au mieux traduit par « Coutine est un ponnard ». Tenu par des membres du groupe d'extrême droite Pravy Sektor, le café mise sur la haine fortement répandue dans la population envers le président russe Vladimir Poutine pour attirer sa clientèle.

Même si Lviv se trouve à 1200 km de la ligne de front entre les forces ukrainiennes et les séparatistes prorusses du Donbass (dans l'est de l'Ukraine), la ferveur nationaliste est palpable jusqu'ici. Sur la perspective de la Liberté (Prospekt Svobody), une tente militaire a été installée pour recueillir les dons en nature et en espèces pour aider les soldats et volontaires partis défendre la patrie.

Cimetière Lytchakiv

Certains de ces combattants sont d'ailleurs déjà allés rejoindre les autres héros de Lviv au cimetière Lytchakiv. Fondé au XVIIIe siècle, ce gigantesque complexe funéraire n'a rien à envier au Père-Lachaise parisien. Il est d'ailleurs devenu l'un des attraits touristiques principaux de la ville (l'entrée coûte 20 hryvnias, soit environ 1 $).

Au fil des décennies, les notables polonais, autrichiens et ukrainiens y ont fait ériger des stèles imposantes pour assurer la perpétuation de leur mémoire à travers les siècles.

Des sections du cimetière sont également réservées à ceux qui ont combattu les invasions russes, nazies et soviétiques. En ce froid samedi matin, deux douzaines de tombes fraîches reçoivent ainsi la visite de familles éprouvées, venues pleurer leur frère, fils ou mari, défenseur de la patrie mort arme à la main dans le Donbass rebelle.

À Lviv, l'histoire n'a pas fini de s'écrire et de se réécrire.

L'abordable prochain Prague 

Si la tendance se maintient, Lviv risque bien de devenir le prochain Prague ou la prochaine Cracovie des touristes cherchant à pousser toujours un peu plus à l'est leur découverte de l'Europe. Il en a du moins le potentiel. Particulièrement depuis que la tenue de l'Euro 2012 de soccer a rendu bilingues (ukrainien-anglais) l'affichage des noms des rues, les indications vers les sites touristiques et même les annonces dans les tramways qui sillonnent la ville.

La chute constante de la hryvnia, qui a perdu plus des deux tiers de sa valeur par rapport au dollar en un an, fait également de l'Ukraine l'une des destinations les plus abordables ces temps-ci. En février, on pouvait très facilement manger pour moins de 10 $ dans les bons restos de la vieille ville, alcool compris.