L'attentat d'Istanbul est un nouveau coup dur pour le tourisme turc déjà victime en 2015 de la frilosité des vacanciers européens envers les pays musulmans, et aussi fragilisé par la crise avec la Russie qui a tari une de ses plus grosses sources de visiteurs.

Trois mois après l'attaque qui avait fait 103 morts lors d'une manifestation prokurde à Ankara, cet attentat suicide attribué aux jihadistes, qui a tué mardi 10 Allemands, visait délibérément le tourisme, secteur clé de l'économie d'un pays qui était en 2014 la sixième destination mondiale.

Quelque 36,8 millions de vacanciers étrangers se sont rendus en Turquie en 2014, en premier lieu des Allemands, des Russes et des Britanniques.

Mais le vent avait commencé à tourner en 2015, la Turquie subissant à l'instar d'autres pays musulmans - comme le Maroc ou l'Indonésie - la désertion des Européens notamment refroidis par les attentats meurtriers en Egypte et en Tunisie.

«Dans la tête du touriste occidental, il est clair que des attaques potentielles par des groupes islamistes dans un pays sont associées à un danger dans toute la région. Et les attentats en Tunisie et en Égypte, couplés aux attaques sur le sol turc et à la proximité de la Turquie avec la Syrie, ont un effet préjudiciable sur les flux touristiques vers ce pays», a résumé mercredi à l'AFP Kinda Chebib, analyste du cabinet international Euromonitor.

Du côté des touristes russes - 4,4 millions ont visité la Turquie et surtout ses stations balnéaires en 2014 - la dévaluation du rouble a nettement freiné les voyages.

Ce repli s'est aggravé fin 2015 avec la crise diplomatique provoquée par la destruction d'un bombardier russe par l'aviation turque à la frontière syrienne le 24 novembre. En représailles, la Russie a déconseillé à ses concitoyens tout séjour en Turquie.

Pour l'ensemble de l'année 2015, la fréquentation touristique en Turquie et le chiffre d'affaires afférent ne sont pas encore connus. Mais Kinda Chebib indique qu'«après avoir atteint 35 milliards de dollars en 2014, les profits tirés du tourisme ont baissé de 4,4% au troisième trimestre 2015».

Destination soleil de proximité

L'impact à court terme sur les réservations pour la Turquie devrait être net après l'attentat, notamment ces prochaines semaines et prochains mois pour Istanbul qui est une destination de week-end en basse saison.

«Reste à savoir quel sera l'impact pour les réservations d'été dans les stations balnéaires turques, qui restent une destination soleil de proximité pour les Européens», estime Jean-Pierre Mas, président du syndicat français des agences de voyage.

«Cet attentat signe un coup d'arrêt pour la Turquie, et vient s'ajouter au fait que la politique du président Tayyip Erdogan crée une vraie confusion et contribue à jeter l'opprobre sur la destination», juge pour sa part Jean-Pierre Nadir, président du site internet Easyvoyage.

Le ministère allemand des Affaires étrangères a appelé ses ressortissants sur place à la prudence. Mais mercredi, le ministre de l'Intérieur a jugé qu'il n'existait «aucune raison de renoncer à des voyages en Turquie».

Le voyagiste allemand TUI a pour sa part proposé à ses clients qui prévoyaient un voyage à Istanbul jusqu'au 18 janvier de l'annuler ou de le modifier gratuitement.

Dans leurs brochures pour cet été, nombre de tour-opérateurs européens avaient déjà réduit la voilure sur les pays musulmans, à l'instar du Français Marmara dont les propositions pour la Turquie, la Tunisie et le Maroc ne représentent plus que 20% de l'offre, contre 45% un an plus tôt.

En dix ans, entre les «Printemps arabes» et les attentats, les tour-opérateurs français estiment avoir perdu un total de 750 000 clients pour le Moyen-Orient et l'Afrique du nord. Selon leur syndicat Seto, le poids de cette région dans l'ensemble des départs des Français vers l'étranger s'est réduit de 18 points depuis 2004.

«Les destinations qui vont bénéficier de cette situation et devraient attirer un nombre croissant de touristes sont la Grèce, l'Espagne et le Portugal, qui offrent des prix compétitifs et une stabilité politique», résume Kinda Chebib.