La violente contestation qui agite la rue turque depuis une semaine a fait fléchir les réservations dans les hôtels d'Istanbul, mais les touristes étrangers qui ont bravé leurs craintes considèrent souvent cette agitation comme une curiosité.

Lorsqu'elle a débarqué il y a quelques jours, Eva Carla Thorisdottir pensait profiter des mosquées, des marchés exotiques et de la vie nocturne de la mégapole turque. Passées ses premières appréhensions, cette Islandaise a ajouté à sa liste de curiosités la spécialité stambouliote de l'heure, la manifestation.

«Il y avait des gaz lacrymogènes partout», se souvient cette touriste de 32 ans. «C'était une sacrée aventure».

Pour l'industrie touristique turque, la fronde de la rue contre le premier ministre islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan ne pouvait pourtant plus mal tomber, en plein début de la saison d'été, vitale pour un secteur qui est l'un des principaux pourvoyeurs de devises de l'économie du pays.

En 2012, la Turquie a accueilli plus de 31 millions d'étrangers sur ses plages, ses sites historiques de l'époque gréco-romaine et ses villes: une manne financière de près de 30 milliards de dollars.

Alors à l'heure des réservations, les images des violents affrontements entre policiers et manifestants, notamment dans des stations balnéaires réputées comme Izmir (ouest) ou Antalya (sud), diffusées en boucle sur les chaînes de télévision du monde entier, ont eu rapidement un effet dissuasif.

«Il y a eu des annulations», relève Ercan Durmus, le directeur de l'Association des agences de voyages turques (TURSAB), «mais nous pensons que la situation devrait revenir rapidement à la normale».

Les hôtels de la côte méditerranéenne, temple du tourisme de masse, n'ont pas encore été touchés, assure de son côté Osman Ayik, le responsable de la Fédération turque des hôteliers (TUROFED). «Mais on observe une stagnation des réservations», poursuit-il, suggérant que les touristes ont retardé leur décision dans l'attente de l'évolution de la situation politique dans le pays.

Curiosité

À Istanbul, entre 10 et 25 % des hôtels du secteur de Beyoglu, où se trouve la fameuse place Taksim, épicentre de la contestation, ont subi des annulations de la part de leurs clients, selon Kerem Zoto, le responsable de la branche stambouliote de la TUROFED. Le Midtown Hotel a même perdu 35 % de ses clients depuis le début de la contestation le 31 mai, a confié à l'AFP son patron, Kerem Demircan.

À rebours de cette tendance, certains touristes intrépides ont choisi de modifier leur programme pour venir respirer, l'espace de quelques heures, le parfum de Mai 68 qui embaume la place Taksim et le petit parc Gezi, dont la destruction annoncée a allumé la mèche de la fronde qui agite l'ensemble de la Turquie. Par curiosité.

«Tout le monde a l'air très détendu», remarque Joan Kavanagh, de Dublin, au milieu des sifflets et des slogans chantés par les milliers de manifestants présents à Taksim. «Il est très intéressant de voir tout ça», ajoute-t-elle, «l'ambiance n'est pas du tout aussi menaçante que je le redoutais». «Je tenais à voir ça», confie son fils Tristan.

Mais beaucoup d'autres touristes ont préféré rester à distance de l'agitation, en quittant le quartier de Taksim pour trouver un hôtel dans le quartier historique de Sultanahmet, loin du bruit et de la fureur, à proximité de la basilique Sainte-Sophie, de la Mosquée bleue ou du palais de Topkapi très prisés des visiteurs étrangers.

Dans le calme des jardins de Topkapi, Eva Carla Thorisdottir confie avoir du mal à imaginer que la contestation fait rage dans une autre partie de la ville.

De ses tout premiers jours agités à Istanbul, l'Islandaise confie qu'elle rapportera beaucoup d'anecdotes inattendues. «Mais je leur dirai aussi que c'est une ville magnifique», ajoute-t-elle.