Une prairie vallonnée, couverte d'herbe grasse. Des vaches qui broutent paisiblement devant un grand chalet en pierre de taille... L'image de la Suisse, figée par les cartes postales, fascine l'étranger, où de nombreuses régions affichent leur ressemblance réelle ou supposée avec le pays des Helvètes.

Le Liban: Suisse du Moyen-Orient. La Slovénie: Suisse des Balkans. Le Cachemire: Suisse de l'Inde. Bariloche: Suisse argentine... «Un peu partout dans le monde, il y a des pays ou des régions que l'on compare à la Suisse», constate l'historien François Walter, professeur à l'université de Genève.

Dans une étude publiée à la fin des années 1970, un géographe avait ainsi recensé 183 territoires faisant référence à la Confédération helvétique, répartis sur les cinq continents. «Rien qu'en Europe, 125 désignations avaient été dénombrées», détaille M. Walter.

Parmi ces «Suisses» exportées: San Carlos de Bariloche, dans la province montagneuse de Rio Negro, à 1650 km au sud-ouest de Buenos Aires. Un haut lieu touristique, où le visiteur peut se faire photographier en compagnie d'un Saint-Bernard, devant un authentique chalet en bois.

«La région accueille depuis le début du XXe siècle une importante communauté suisse. Et nos paysages ressemblent beaucoup à ceux des Alpes», explique Leopoldo Tiberi, du bureau touristique de la ville. Un mimétisme que la ville étend jusqu'au champ culinaire, l'une de ses spécialités n'étant autre que... «la fondue».

La ressemblance, dans d'autres cas, est plus ténue. «Suisse de l'Afrique», le Swaziland ne doit son surnom qu'à ses collines verdoyantes et à sa petite taille. Port commercial de la mer de chine, arrosée par la mousson, Qingdao ne doit son titre de «Suisse chinoise» qu'à la présence de bâtiments d'architecture bavaroise, héritage de son passé allemand.

Stéréotypes et arrière-pensées

«L'image de la Suisse à l'étranger est en grande partie basée sur des stéréotypes», souligne Martial Pasquier, professeur de management public et auteur en 2009 d'une étude sur la question. «Ces stéréotypes tiennent aux paysages, mais aussi à des produits comme les montres ou le chocolat, qui sont attractifs dans l'imaginaire collectif».

La France elle-même n'échappe pas à cette fascination pour le pays de Rousseau, comme en témoigne la présence sur son territoire de plusieurs «Suisses» miniatures («Suisse d'Alsace» dans le Bas-Rhin, «Suisse normande» autour du Mont Pinçon, «Suisse bretonne» dans la forêt de Quénécan...), ainsi baptisées pour leur caractère pittoresque.

Une démarche qui n'est pas dénuée d'arrière-pensées. «Quand les premières références à la Suisse sont apparues, à la fin du XVIIIe siècle, avec le développement du tourisme, le paysage alpestre était perçu comme le décor idyllique par excellence», raconte François Walter.

«La référence à la Suisse a rapidement été perçue comme un moyen d'attirer l'attention des clients sur la beauté des paysages», souligne l'historien, pour qui nombre d'appellations «ont été créées de toutes pièces par des professionnels du tourisme, dans un souci marketing».

Les paysages, cependant, ne sont pas seuls en jeu. «Derrière la géographie, il y a une société, qui incarne un idéal de démocratie et de liberté», souligne Martial Pasquier, qui pointe «l'attrait» exercé par le modèle politique et économique de la Confédération, malgré des points de crispation liés notamment à sa politique fiscale.

«En Suisse, plusieurs communautés linguistiques et culturelles coexistent en paix, depuis plus de 200 ans. Pour certains États comme le Liban ou le Rwanda, confrontés à des tensions communautaires, cela interpelle», estime M. Pasquier.

Beauté paysagère, prospérité financière, stabilité démocratique... «Autour de l'image de la Suisse s'est développée une sorte d'idéal», résume François Walter. Un «idéal» basé pour partie sur la réalité et pour partie sur des fantasmes, alimentés par des mythes littéraires, comme celui d'Heidi.

«Les gens recherchent l'image du paradis perdu, un monde où l'homme vit en harmonie avec la nature. Quelque part, on en revient à Rousseau», s'amuse l'universitaire.

Photo Fabrice Coffrini, AFP