L'un a 80 ans, l'autre 100 ans et figure sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité. Ce sont deux trains mythiques de la Suisse. Un éloge à la beauté des Alpes, mais aussi à la lenteur. Montez à bord. Pour (re)découvrir le plaisir de voyager en prenant son temps.

9h. Saint-Moritz le fêtard sommeille encore. Le soleil éclaire de ses premiers rayons le lac gelé et c'est à peine si les rires de quelques enfants en route pour l'école parviennent à troubler ce silence si enveloppant des villages de montagne. 9h02. Le train se met en branle sans bruit. Pile à l'heure, mais lentement, très lentement. Très très très lentement. Bienvenue à bord du Glacier express «le train rapide le plus lent du monde»... qui mettra près de 8 heures à parcourir 291 kilomètres.

Oui, oui, on répète: 8 heures pour parcourir 291 kilomètres. Même les cyclistes du Tour de France parcourent en moyenne plus rapidement les Alpes!

Le Glacier express n'est pourtant ni paresseux ni en mauvais état et la Suisse s'y connaît en trains à grande vitesse. Mais de Zermatt à Saint-Moritz, il devra traverser 7 vallées, emprunter 291 ponts et 91 tunnels, dont une dizaine faisant une boucle de 270 degrés et des dénivellations atteignant parfois 125%! Ce sont des montagnes russes, la vitesse en moins. Un prodige d'ingénierie civile qui, 80 ans après sa mise en service, continue de susciter l'émerveillement.

Photo: Violaine Ballivy, La Presse

Les vallées enneigées de l'Engadine

Le spectacle commence donc dès Saint-Moritz avec la traversée des sommets du massif de l'Engadine. De villages en hameaux, de fermettes de bois en monastères en pierre haut perchés, c'est l'histoire de la Suisse alpine qui défile sous nos yeux. Ses traditions et sa mythologie qui, on le découvre avec surprise et bonheur, n'existent plus que pour le plaisir des touristes sur les cartes postales ou dans les films d'époque. On n'a pas seulement l'impression d'être au pays de Heidi, on y est vraiment lorsque le train traverse la ville de Bergün, où ont effectivement été tournées les aventures de la jeune fille et de son grand-père grincheux. Le train s'arrête en gare. Des enfants et leurs parents montent une luge en bois dans les mains jusqu'à la prochain station, plusieurs mètres plus haut, prêts à dévaler en criant et en riant les pentes enneigées.

Pour éviter les accidents et maintenir une vitesse constante de 35 km/h, les ingénieurs ont artificiellement rallongé le parcours de plus de 12 kilomètres. Le train croisera plusieurs fois sa route, multipliant les boucles, circulant parfois d'un côté de la vallée puis de l'autre pour suivre son droit chemin.

Puis, le train franchira à mi-parcours la passe d'Oberalp - 2033 mètres -, le point le plus haut du circuit et dont l'entretien est le plus délicat. Il fait tempête. Les rails sont partiellement couverts de neige, mais la locomotive à crémaillère s'en moque et continue de grignoter les kilomètres avec le même cliquetis régulier. De grandes barrières ont été plantées à flanc de montagne pour prévenir les avalanches et une souffleuse capable de pousser 19 tonnes de neige à la seconde est prête à entrer en scène à tout moment. Çà et là, la silhouette d'une croix se détache au sommet d'une montagne, seul signe du passage de l'Homme à des kilomètres à la ronde.

Photo: Violaine Ballivy, La Presse

Village de Tirano

Après Andermatt, le Glacier express amorce une lente et délicate descente vers la vallée, empruntant au passage le tunnel de Furka, long de 15,4 kilomètres, plongeant ses passagers dans l'obscurité totale pendant près d'un quart d'heure avec l'étrange sensation que le temps s'est arrêté. Un moment chargé de suspense. Glacier? Vallée? Village? Que trouvera-t-on à la sortie de l'énième souterrain? Cette fois, un soleil éblouissant et, pour ceux qui auront pris la peine de se retourner, une vue splendide sur le pic du Rotondo, à 3192 mètre d'altitude. La vallée du Rhône s'ouvre juste devant. On suivra sur des kilomètres des skieurs de fond graciles. Le glacier de l'Aletschhorn (4195 mètres) se dresse à droite. L'Helsenhorn (3272 mètres), l'Hillenorn (3181 m), puis le Waserhorn (3246 m) s'élèvent sur la gauche. C'est grâce à ce tunnel que, depuis 1982, le Glacier express peut circuler été comme hiver, transportant 250 000 passagers annuellement dans ses compartiments luxueux dotés de fenêtres panoramiques.

Un éloge à la lenteur

Le temps passe doucement, mais ne pèse pas. La montagne n'est jamais monotone. Le train se rempli au fil des stations, surtout de touristes venus d'un peu partout: on parle anglais, espagnol, français, allemand, japonais, mais on parle surtout très peu. La beauté des paysages semble imposer de soi le silence.

En cette période où tout va toujours plus vite, où l'on propose aux touristes des circuits pour voir 20 villes en 20 jours, dans une région qui accueille les trains les plus rapides du monde, prendre le Glacier express, c'est faire un pied de nez à la modernité. Retrouver le plaisir de prendre le temps de vivre et d'apprécier le moment présent, tout simplement.

On pourrait, après tout, prendre un «vrai» express entre Saint-Moritz et Zermatt afin de rejoindre plus rapidement deux des plus célèbres sites de villégiature des Alpes. Mais on raterait alors la chance unique de toucher le coeur des Alpes suisses, de «voguer» de village en village sans souci, d'un sommet enneigé à l'autre tout doucement et sans effort.

Bien sûr, l'idéal serait de s'arrêter à chaque bourgade pour discuter avec ses habitants, en goûter les spécialités locales et, bien sûr, dévaler à ski quelques pentes. Vous avez un mois? Non, sans doute. Mais si vous aimez assez les Alpes pour endurer les 8 heures d'avion qui séparent le Québec de la Suisse, vous trouverez bien 8 heures pour les admirer en train.

Une partie des frais de ce reportage ont été assumés par Switzerland Tourism.

Photo: Violaine Ballivy, La Presse

Sur la route entre Coire et Zermatt.

Les trains suisses en chiffres

1739 km

Les Suisses aiment beaucoup voyager en train. Ils parcourent en moyenne 1739 km par année sur les rails, dépassés uniquement par les Japonais avec 1897km.

1845

Ouverture de la première gare en Suisse... utilisée par la compagnie française des chemins de fer alsaciens. Ironiquement, le premier train suisse ne circulera en Suisse qu'en 1847.

22 000 km

Le réseau des transports suisse, toutes compagnies confondues, couvre plus de 22 000km. C'est le plus dense de tous les pays européens, avec presque 122 km de rails pour 1000 km2.

57 km

Longueur du tunnel du Saint-Gothard qui, au moment de son inauguration prévue en 2017, devrait être le plus long tunnel ferroviaire du monde.

Le Glacier Express en chiffres

De Zermatt à Saint-Moritz:

291 kilomètres, 291 ponts et 91 tunnels.

Durée: 8 heures

Altitude maximale: Oberalppass, 2033 mètres

Altitude minimale: Coire, 585 mètres

Prix d'un billet en 2e classe: 129$ CAN en hiver, 134$ CAN en été.

Nombre de capsules explicatives tout le lonf du parcours:  74

Prix du repas trois services sevi à midi: 43 francs suisses (45,77$ CAN)

Prix d'une part de gâteau aux carottes:  7,80 francs suisses (8,30$ CAN)

250 000 passagers par année

Itinéraire suggéré

Commencez par trois jours de ski ou de randonnée à Zermatt, puis montez au petit matin à bord du Glacier Express pour rejoindre Saint-Moritz. Le plus luxueux des villages de ski de la Suisse n'est pas le plus agréable de tous -et surtout pas le plus abordable- mais la beauté du paysage mérite qu'on s'arrête dans les environs deux nuits. Quittez Saint-Moritz en empruntant le Bernina Express vers Tirano -la plus belle portion du trajet est entre Saint-Moritz et Tirano-quitte à revenir sur vos pas pour retourner à Coire et rejoindre Zurich ou l'Autriche.

Photo: Violaine Ballivy, La Presse