Certains rêvent de faire le tour du monde, mais commencer par faire le tour d'une île, c'est déjà pas mal, non? Un sentier de randonnée permet de découvrir, un pas à la fois, les charmes d'une campagne anglaise isolée où les moutons sont plus nombreux que les hommes. Si le slow travel existe en Angleterre, c'est dans l'île d'Anglesey.

Trouver le calme et le charme de la campagne anglaise, un pas à la fois, c'est l'agréable objectif d'un tour de l'île à Anglesey. Récit.

On nous l'avait bien dit: il faudra faire attention aux marées. Elles montent parfois si haut, si vite, qu'elles occultent des pans de route entiers, tant aux marcheurs qu'aux automobilistes. Parfois des heures durant.

L'eau qui recouvrait le chemin, droit devant, ne semblait pourtant pas bien vilaine. Quelques centimètres, a-t-on évalué, en oubliant les mises en garde. Un pas, deux pas, au troisième, l'eau refroidissait nos hanches. Au quatrième, elle s'infiltrait sous les aisselles. Demi-tour précipité, trop tard, l'appareil photo avait pris l'eau. Une bonne leçon: quand on se met au slow travel, il faut en suivre les règles, même si elles impliquent d'attendre une heure que la marée baisse. On sort un livre et on fait sécher ses chaussettes au soleil pour passer le temps?

Faire le tour de l'île d'Anglesey est un formidable apprentissage des joies de la lenteur, dans un pays, le Royaume-Uni, dont on pourrait pourtant penser qu'il a succombé, comme ses voisins, au rythme effréné imposé par la modernisation. C'est vrai dans les grandes villes, dans la plupart des plus petites aussi. Moins, beaucoup moins dans cette île reculée, dans le nord-ouest du pays de Galles, où l'on vit encore essentiellement de l'agriculture, puis du tourisme qui s'y développe plus rapidement depuis l'inauguration, en 2008, d'un nouveau sentier de randonnée pédestre qui fait le tour de l'île en 205 km, soit une douzaine de jours d'un pas tranquille.

Entre plages et villages 

Le circuit suit les chemins tracés par les allées et venues quotidiennes des fermiers pour aller de leur champ à celui du voisin, à l'église ou, tout simplement, pour passer le temps. On s'y promène de village en village, longeant des plages de sable fin, des dunes, ou des parois abruptes plongeant dans un océan acier constellé de pitons rocheux tout juste assez grands pour accueillir quelques familles d'oiseaux marins. De vastes portions de la côte ont été classées «Espace de beauté exceptionnelle» (Area of Outstanding Beauty) par le pays. La campagne y est verte, de ce vert intense qu'on ne croise ailleurs qu'en Irlande ou en Écosse et qui explique la santé des fermes laitières.

Il n'y a pas de départ officiel du sentier de randonnée, mais l'accès est plus facile dans les villes desservies par le train, comme Holyhead, petite bourgade dont la popularité auprès des touristes tient principalement au fait que les traversiers venus d'Irlande y accostent. Ni moche ni belle, elle laisse plutôt indifférent, à la différence du paysage qui l'entoure: la route jusqu'à Trearddur est l'une des plus belles de tout le circuit.

À Holyhead, elle commence sous le portail de l'église Saint Cybi's, dont les premières pierres ont été posées au IVe siècle (cette région de l'Angleterre, jadis occupée par les druides, est l'une de celles où l'on retrouve les vestiges les plus anciens du pays) avant de suivre une promenade au fil de l'eau sur quelques kilomètres, de jolis voiliers amarrés en trame de fond. Le ciel est sans nuage. La nuit précédente, en entendant siffler le vent et battre la pluie sans relâche sur les fenêtres de l'auberge, on a pourtant craint de ne jamais pouvoir prendre le départ. «Il fera soleil dans une demi-heure», a prédit Rita Lipman, la maîtresse de l'auberge aux cheveux argentés, en nous resservant un peu de thé, alors que la tempête commençait à peine à s'apaiser. Elle avait raison. «La météo change très rapidement ici, alors il faut être prêt à tout, a-t-elle expliqué. Mais ça veut dire aussi qu'il ne faut jamais se laisser décourager par un peu de pluie.»

Avec un tel ciel dégagé, on raconte que le regard porte sur plus de 100 km du plus haut sommet de l'île, Holyhead, la seule vraie grimpée du circuit sinon plutôt plat. Les Romains s'en servaient jadis pour traquer la menace irlandaise: on se contente maintenant d'y admirer les bateaux de croisière qui défilent et le joli phare en contrebas. Les colonies de dizaines d'espèces d'oiseaux y ont établi domicile, à découvrir avec les yeux des experts de la Société royale de protection des oiseaux dans le centre attenant au phare South Stack.

En chemin, on croise pour l'essentiel des moutons, des moutons et encore des moutons. Parfois, un berger. Ou une lady qui fait sa promenade quotidienne jusqu'à la plage, qu'il pleuve comme cet après-midi-là ou qu'il fasse soleil. «Trois clichés sont vrais à propos des Anglais: on s'excuse pour un oui ou pour un non, on ne peut pas se passer de thé et on adore marcher à la campagne, peu importe la météo», raconte le guide de randonnée Eurwyn Williams.

La vie dans l'île

Le parcours classique permet de dormir chaque soir dans un village différent, parfois si petit qu'il n'y a qu'une seule et unique auberge. On reprend des forces à 16 h, avec un scone nappé de crème fraîche et une tasse de thé brûlant. On mange au pub le soir, avec les gens de la place qui débarquent en reprenant la conversation là où ils l'ont laissée en plan la veille. Des endroits chaleureux - il faut bien contrer le climat austère - aux plafonds bas et sombres le plus souvent, qui ne sont pas dépourvus de charme même si l'on a préféré - comme une certaine Kate Middleton! - les pubs plus modernes à l'image du White Eagle ou de l'Oyster Catcher, deux écrins de lumière et de bon goût du circuit.

Dans ces conditions, en comparaison avec deux semaines de marche sur le sentier de Compostelle, qui a parfois des allures d'autoroute avec ses longues files de pèlerins, une question s'impose: si le calme est essentiel à la réflexion, c'est peut-être au Royaume-Uni, plutôt qu'en Espagne, qu'il faut user ses semelles pour trouver réponse à ses questions existentielles. Ou, tout simplement, retrouver un peu de tranquillité.

Photo Violaine Ballivy, La Presse

L'agriculture reste l'une des principales sources de revenu de l'île. 

Repères

Bagages:

Des entreprises s'occupent de réserver les auberges et d'assurer le transport des bagages d'un village à l'autre pour marcher d'un pas plus léger, le jour. Nous avons utilisé les services d'Anglesey Walking Holidays, affable et efficace.

Distances:

Le circuit classique compte 12 étapes d'une quinzaine de kilomètres, sans grande difficulté. Le dénivelé est assez plat.

Signalisation:

Des marqueurs de bois installés depuis 2006, grâce à des subventions de l'Union européenne, permettent de suivre assez facilement le sentier même si, hors saison, les herbes folles dissimulent parfois le chemin à suivre.

Guide:

Essentiel pour ne rien rater des attraits historiques et naturels de l'île: Walking the Isle of Anglesay Coastal Path, aux éditions Mara Books, dans la plupart des centres d'information touristique ou des librairies de la région. 

Climat:

La saison idéale s'étire de mai à la fin du mois d'octobre: plusieurs restaurants et hôtels ferment pendant la saison froide.

Une partie des frais de ce reportage a été payée par Visit Wales.

Photo Violaine Ballivy, La Presse

Des flèches jaunes dictent régulièrement le chemin à suivre. 

Parlez-vous gallois?

Bore da! Sut dach chi? 

Le - fort! - accent des résidants de la péninsule d'Anglesey n'explique pas à lui seul le fait que vous aurez parfois du mal à comprendre le serveur au pub quand il vous dira: «Bonjour, comment allez-vous?» La région est l'une de celles où le gallois est le plus vigoureux, parlé couramment par un peu plus de 50% de la population. Si bien qu'on y retrouve même une chaîne de télévision et des journaux en gallois! Mais n'ayez crainte, sauf de rares exceptions - surtout des personnes âgées -, tout le monde est bilingue et parle aussi l'anglais.

Araf!

Depuis 1965, toutes les indications routières peuvent être affichées en gallois dans le pays de Galles, dont la péninsule d'Anglesey, et elles le sont majoritairement. Mais l'anglais suit toujours de près: vous n'aurez donc pas besoin de sortir un dictionnaire en conduisant pour savoir qu'araf veut dire slow. Et ainsi de suite.

Lieux communs 

En visitant Anglesey, vous remarquerez très vite que les noms de plusieurs villages se ressemblent étrangement. Normal: ils reflètent très souvent un aspect de leur environnement, ce qui explique la récurrence de certains suffixes et préfixes comme : 

- afon: rivière

- traeth: plage

- melin: moulin

- ty: maison

- bychan: petit

LLANFAIRPWLLGWYNGYLLGOGERYCHWYRNDROBWLLLLANTYSILIOGOGOGOCH

Dommage que les noms propres ne soient pas permis au Scrabble: ces 58 lettres forment en gallois le nom le plus long pour une ville d'Europe et signifient «l'église de sainte Marie dans le creux du noisetier blanc près d'un tourbillon rapide et l'église de saint Tysilio près de la grotte rouge». Il faut dire qu'on a forcé un peu la main à l'histoire, et que c'est dans le cadre d'une opération publicitaire que le nom du village a été étiré, au XIXe siècle. Avec succès: des touristes y débarquent rien que pour s'y faire prendre en photo près d'un panneau annonçant le nom du village.