En Roumanie, des activités touristiques tournent autour de l'ancien dictateur communiste, mort il y a 25 ans. Un excellent moyen de saisir l'âme roumaine.

Marius Zaharia porte la barbichette. Comme Lénine. Il dit que c'est un hasard. Mais on ne le croit qu'à moitié, vu le contexte.

Depuis un an, Marius donne un «Tour du communisme à Bucarest». L'idée lui est venue après avoir vu des concepts semblables à Prague et à Berlin. Ancien étudiant de sciences politiques, il a tout de suite vu le potentiel pour Bucarest, une ville défigurée par l'héritage communiste et la folie des grandeurs du dictateur Ceausescu, qui a été au pouvoir de 1965 à 1989.

«On ne peut pas comprendre Bucarest sans comprendre ça», lance l'homme de 34 ans.

Pendant trois heures, Marius nous emmène, à pied, en des lieux connus ou méconnus de la capitale. Le point d'orgue de la visite est sans contredit le «Centru Civic», un immense complexe administratif inspiré de la Corée communiste, qui inclut un certain nombre de bâtiments, dont l'incontournable Palais du Parlement, l'ultime legs architectural de Ceausescu.

Malgré son allure grandiose, le Centru Civic est une véritable catastrophe urbanistique. Un tiers du centre-ville de Bucarest a été rasé pour faire place à ce lieu sans âme, une destruction comparable à celles de Berlin et Varsovie pendant la guerre.

D'églises en terrains vagues, le tour s'achève place de la Révolution, devant l'ancien QG du parti, où Ceausescu a livré son dernier discours avant de s'enfuir en hélicoptère avec sa femme. Un obélisque y a été érigé en hommage à tous ceux qui se sont battus pour la liberté.

Mille personnes sont mortes en décembre 1989. Marius nous invite à allumer un lampion à leur mémoire.

«Mes parents ne comprennent pas pourquoi je donne ce tour, dit-il. Ils comprennent encore moins pourquoi des gens payent pour le faire. Je le vois comme une façon d'éduquer. Il y a comme une amnésie. C'est un héritage qu'on essaie de cacher. Mais moi, je pense que ça intéresse les touristes. La Roumanie, ce n'est pas seulement le folklore et le Moyen Âge...»

Visiblement, d'autres pensent comme lui. À Bucarest, au moins cinq entreprises ont mis sur pied des tours similaires. Il y a peut-être là un filon...

Tours communistes:

tourofcommunism.com

opendoorstravel.com

interestingtimes.ro


Sur les lieux de l'exécution

Un groupe d'étudiants pose en souriant devant un mur plein de trous. Ça rigole, ça fait le clown, ça prend des photos. Le soleil plombe, les oiseaux chantent, on se croirait en pleine cour d'école. Mais deux silhouettes tracées à la peinture blanche sur le sol nous ramènent à la troublante réalité: c'est ici, dans cette ancienne caserne de Targoviste, que le dictateur roumain Nicolae Ceausescu et sa femme Elena sont morts, criblés de balles, le 25 décembre 1989.

Il y a moins de deux ans, la Ville de Targoviste (80 km au nord de Bucarest) a transformé en musée l'unité militaire où le tyran et sa femme ont été jugés à la hâte, puis fusillés. L'endroit, plutôt sinistre, n'a pas changé depuis 25 ans.

Il fait froid. C'est humide. Les lits de camp où Nicolae et Elena ont dormi pendant trois nuits avant de connaître leur sort sont encore là. Tout comme la salle où a eu lieu le procès, qui a été reconstituée à la virgule près.

La cour extérieure, où le couple a été abattu, est sans conteste le clou de la visite. «On les a tués à la mitraillette. Ils ont reçu plus de 30 balles», explique Dana, notre guide, pendant que les oiseaux chantent.

En 2014, le musée a reçu 2900 visiteurs. Roumains, pour la plupart. Mais les médias étrangers en ont beaucoup parlé et des groupes d'Américains ont déjà annoncé leur venue pour cet été.

muzee-dambovitene.ro

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

Le Palais du Parlement

Le Palais du Parlement, héritage «mégalomaniaque» de Nicolae Ceausescu, est un immense éléphant blanc de 1000 pièces et 66 000 m2, situé au coeur du Centru Civic. Ses seuls locataires permanents sont le Parlement et le musée d'art moderne. Le reste du bâtiment est complètement vide, si l'on excepte les événements ponctuels et les visites guidées, qui sont offertes plusieurs fois par jour.

Le tour d'une heure couvre moins de 10% de l'édifice. Assez pour mesurer la folie qui a créé cette véritable «maison-monstre», qui se situe à mi-chemin entre le château de Versailles et un bunker antinucléaire. Grandes salles vides à l'écho assourdissant, marbre de fond en comble, candélabres de cristal... Ça sent le luxe, mais surtout le gaspillage.

L'édifice est si gros, dit-on, qu'on le voit de la Lune. Ce serait, plus sérieusement, le plus grand bâtiment administratif du monde après le Pentagone. Tout cela bâti avec le sang et la sueur d'un millier de travailleurs roumains, dont environ 300 prisonniers politiques.

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

Sur la tombe d'un tyran

On pensait trouver l'endroit vide. Saccagé. Rempli de graffitis. Au contraire. La tombe du couple Ceausescu, qui se trouve au cimetière Ghencea de Bucarest, est recouverte de fleurs et de lampions.

Visiblement, certains regrettent encore cette époque controversée. C'est le cas de Marin Gheorghisor, 82 ans, rencontré lors de notre visite.

Cousin lointain de Ceausescu («Vous ne trouvez pas qu'on se ressemble?», demande-t-il en lissant ses cheveux), Marin vient une fois par an se recueillir sur la tombe du défunt dictateur. Il ne cache pas sa nostalgie pour l'ancien régime. «Ceausescu a fait de bonnes choses. Au moins, dans son temps, on avait la sécurité. J'avais un emploi. Mes filles ont reçu une bonne éducation. Aujourd'hui, les jeunes n'ont pas de travail. Alors ils partent tous.»

Et le manque? Le froid? La police secrète? La paranoïa? «Bah... C'était seulement les dernières années», lance le vieil homme, en remettant son chapeau.

Il n'y a aucune visite guidée pour voir la tombe des Ceausescu. Mais le Cimitirul Ghencea est ouvert à tous. Le meilleur moment pour rencontrer des admirateurs du dictateur est le 26 janvier, son jour de naissance. Ou le 25 décembre, date de son exécution.

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse