«Porto ce n'est pas seulement une carte postale et quelques rues où les touristes font leurs courses. Ma ville c'est aussi ça!», s'emporte Margarida en ouvrant les bras, figée devant une rangée de façades délabrées.

La vue sur le fleuve Douro qui serpente en direction de l'Atlantique est imprenable, mais on ne trouve pas dans le quartier populaire des Fontainhas les hôtels de charme flambant neufs ni les bars à vin branchés du centre historique de la grande ville du nord du Portugal, pourtant tout proche.

Les bandes de jeunes désoeuvrés s'étonnent de voir passer des touristes qui s'attardent ici devant de grandes bâtisses bourgeoises laissées à l'abandon, tandis que des enfants déguisés pour carnaval s'engouffrent dans une cour intérieure où l'on aperçoit de petites maisons modestes.

«C'est dans ce genre de logements que les ouvriers s'entassaient par familles entières sur 16 mètres carrés au XIXe siècle», explique la jeune architecte de 31 ans sous le regard déconcerté de Louise et Dean Watson, un couple de quinquagénaires venu passer le week-end.

Afin d'éviter les balades en bus décapotable et autres clichés, l'Américain et son épouse anglaise ont pris rendez-vous avec Margarida Castro Felga pour une promenade urbaine atypique: «les pires tours» de Porto, «The Worst Tours» dans la version originale en anglais.

Commerces fermés

Créés à la fin 2012 par trois architectes qui alternent entre le chômage et la précarité, ces parcours proposent aux visiteurs étrangers de découvrir l'envers du décor d'un pays qui vit depuis trois ans sous le signe de l'austérité.

Discutant avec Margarida des conséquences de la crise, Dean et Louise se montrent choqués d'apprendre que le salaire minimum avoisine les 500 euros par mois ou que les travailleurs précaires n'ont pas droit aux indemnités de chômage.

Pendant qu'ils marchent sous un ciel gris, les vitrines vides de commerces ayant fait faillite et les bâtiments murés défilent par dizaines, y compris dans la partie supérieure de la rue de Santa Catarina, la grande artère commerçante de Porto.

«C'est triste de voir qu'on laisse une aussi belle ville se dégrader comme ça», regrette l'Américain qui vit avec son épouse en Allemagne depuis une trentaine d'années et travaille, comme elle, dans le secteur des technologies de l'information.

«Ce genre de visite nous aide à comprendre ce qui se passe en Europe aujourd'hui. Les gens en Allemagne préfèrent ne pas trop y penser», confie Louise.

Selon les statistiques officielles, Porto comptait en 2011 près de 26 000 logements vides, soit 18,7% du total contre 15,5% à Lisbonne et 12,5% dans l'ensemble du pays.

Tourisme en hausse

«Cela fait plus d'une dizaine d'années que la ville se vide, mais l'austérité a sérieusement aggravé les choses», raconte Margarida, disant avoir cessé de compter le nombre de ses amis partis à l'étranger pour trouver du travail.

Bien qu'ils refusent l'idée de faire du «tourisme de la misère» comme dans les favelas brésiliennes, les guides des «Worst Tours», qui militent aussi dans d'autres mouvements de contestation politique et sociale, se sont attiré beaucoup d'inimitiés.

Ce sont des «jeunes révoltés», «des voix isolées» dont le discours «nuit gravement» à l'image que la ville veut donner à l'étranger, lance Helena Gonçalves, directrice de l'agence de promotion touristique de Porto et de la région nord.

«La ville figure enfin sur la carte du tourisme international», notamment grâce à l'arrivée des compagnies aériennes à bas coût, et la filière a aidé l'économie locale à sortir du marasme, relève-t-elle.

La région a connu en 2013 une hausse du nombre de nuitées de visiteurs étrangers de 15,2% et, depuis 2009, l'offre hôtelière a augmenté de 9,1%.

Mais pour Margarida, le développement du tourisme risque de provoquer une «ségrégation» de la ville, avec un centre rénové mais hors de prix pour les habitants, entouré de faubourgs décrépits.