À Venise, où les voitures sont bannies, même les enfants n'ont pas le droit de rouler. Interdits les vélos, interdits les patins, interdites les planches à roulettes. Il arrive même que des policiers zélés dispersent les joueurs de ballon. Mais les enfants de Venise ont droit à un prix de consolation hors de l'ordinaire...

Comme leurs grands-pères et comme tous leurs aïeuls depuis 1000 ans, les petits Vénitiens ont le droit de se mettre debout sur la poupe, à l'arrière de leur bateau. Dans leur ville, jouer au gondolier est carrément une obligation si l'on veut avancer sur l'eau sans moteur.

Ramer debout, en voyant où l'on va, plaît aux hommes libres, tandis que ramer assis, à reculons, est le lot des esclaves, s'enorgueillissent les Vénitiens. La chose n'est toutefois pas facile. «Je suis déjà tombé quatre fois dans l'eau», nous raconte en riant Orlando Savini, 13 ans, qui a testé ses aptitudes lors d'une sortie scolaire, et course désormais dans un club.

Pour les jeunes touristes, il y a quand même moyen d'apprendre sans se mouiller. La Vénitienne d'adoption (et championne de course) Jane Caporal leur enseigne la voga alla veneta dans deux bateaux bien plus stables que les gondoles (trop longues et asymétriques pour être manoeuvrées sans risque). Les enfants doivent être âgés d'au moins une dizaine d'années pour avoir la force et l'habileté requises. Leurs cadets peuvent toujours monter à bord et les regarder faire (ou regarder faire leurs parents).

Dans tous les cas, c'est un peu moins cher, beaucoup moins kitsch et bien plus amusant qu'un tour de gondole. Et une excellente façon de se comporter comme un Vénitien plutôt que comme un touriste.

«Quand les bateaux à moteur se sont répandus, les gens étaient gênés de ramer, comme s'ils se promenaient à dos d'âne plutôt qu'en voiture, mais les jeunes redécouvrent le sport avec leur grand-père», raconte Jane.

Lorsqu'on rencontre la campionessa sur les quais voisins de la Fondamenta della Misericordia, dans le secteur Cannaregio, au bord de la lagune, on est d'abord surpris par l'incroyable longueur de l'aviron (qui fait au moins cinq mètres).

Deuxième défi: apprendre à pousser le manche loin devant soi, au lieu de le tirer vers soi, comme on le fait en canot ou en chaloupe. En commençant sur l'eau verte d'un petit canal tranquille, posté à l'avant du bateau, on se sent presque exalté. C'est magique de voir la ville d'aussi bas, de se sentir faire partie du décor, de se pencher vers l'avant pour passer sous les ponts de briques, et d'accoster devant les marches couvertes de mousse d'un couvent.... Même si l'on fait assurément sourire les bateliers vénitiens.

Dans la lagune, où se profilent les montagnes et les cyprès du cimetière San Michele, les choses se corsent un brin. Après avoir traversé le chenal marqué de pieux, entre lesquels filent toutes sortes de bateaux, Jane cède sa place à l'arrière. Malgré les vagues et le vent, sa Batèla Coa di Gambero (un modèle aujourd'hui rarissime, qu'on peut admirer sur les toiles du Museo Correr) ne bascule pas lors du changement de garde. Mais il est difficile de manoeuvrer en tenant un aviron aussi long, que le courant - et la maladresse - font facilement débarquer de la forcola, cet appui de bois sinueux présent sur tous les bateaux à rames vénitiens.

Jane encourage ses élèves à être persévérants. Les plus doués sont récompensés. Ils ont le droit de s'aventurer avec elle sur le Grand Canal, où ils risquent fort de se faire photographier sous toutes leurs coutures... par d'autres touristes.

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Pour contacter Jane, qui parle anglais, ou l'une de ses associées italiennes, qui parle français, visitez rowvenice.org

Une heure et demie de cours pour deux coûte 80 euros, puis 20 euros par personne additionnelle, maximum quatre ou six personnes par bateau. Les clubs vénitiens offrent de meilleurs tarifs, mais réserver une leçon avec eux est beaucoup plus compliqué.

À fuir: les cours organisés en gros groupes, souvent de piètre qualité.