Elle est tellement visible qu'elle a servi de point de repère pour les péniches chargées de soldats canadiens à l'assaut des plages de Bernières-sur-Mer, le matin du débarquement. Et pourtant, elle demeure aujourd'hui l'un des secrets (touristiques) les mieux gardés de la Normandie.

Située place du 6 Juin, la Maison des Canadiens est pourtant un endroit ouvert à la visite (sur demande) et dont les propriétaires Hervé et Nicole Hoffer vous raconteront l'histoire avec mille sourires et une gentillesse hors du commun.

«On leur doit bien ça [aux libérateurs]! C'est un devoir, dit Nicole lorsqu'on demande au couple s'il ne se lasse pas d'ouvrir sa maison secondaire. Les visiteurs nous appellent ou nous écrivent sur l'internet [par l'entremise de Facebook notamment]. Nous partons alors de Caen et venons ouvrir la maison.» «Si les Canadiens n'étaient pas venus, je pense que je ne serais même pas là», enchaîne Hervé.

Construite en 1928 face à la mer, la bâtisse fait dans le style normand avec ses colombages brun foncé, sa toiture pentue et son revêtement couleur sable clair. Deux grandes fenêtres en saillie courbe, l'une à côté de la porte principale, la seconde à l'étage, permettent de voir loin sur la Manche. Des drapeaux canadiens, des plaques commémoratives et une série de photos longeant un des murs laissent comprendre que l'endroit est singulier.

Le grand-père de M. Hoffer a acquis la maison en 1933. Depuis, elle est restée dans la famille. En 1940 cependant, lorsque l'armée allemande a envahi la France, elle a été réquisitionnée par l'occupant, ce qui a forcé les Hoffer à se replier sur Le Havre. Un officier allemand et quelques subalternes s'y sont installés.

Ordre de ne pas la détruire

Lorsque les Alliés attaquent, le matin du 6 juin 1944, ils évitent de la détruire en raison de sa position et de ses caractéristiques stratégiques.

«Quand les Alliés faisaient du repérage avant de débarquer, ils avaient ordre de ne pas la détruire. Car elle est très haute, et on peut la voir de très loin», dit Nicole.

«Elle fut le repère de la tête de pont. Tous les pilotes des bateaux et des avions avaient une photo, prise de nuit, de la maison», se souvient Hervé Hoffer.

«Ils devaient ne pas trop la foutre par terre pour que les vagues d'assaut subséquentes aux premières aient toujours un point de repère», ajoute M. Hoffer

À l'aube du 6 juin, ce sont les hommes du régiment ontarien Queen's Own Rifles qui débarquent les premiers. «Ce sont eux qui ont libéré la maison, dit Hervé. À peu près une demi-heure plus tard arrivent les soldats canadiens-français du Régiment de la Chaudière. Puis, en fin d'après-midi du 6 juin, les blindés du fort Garry Horse. Après avoir chassé les Allemands, les Canadiens ont établi ici un poste de transmission.»

Une plaque installée sur la bâtisse porte les noms des 67 membres de ces trois unités qui laissèrent leur vie près des lieux en ce jour fatidique.

Depuis le 40e anniversaire

Hervé et Nicole Hoffer sont propriétaires de la maison depuis la fin des années 70. En 1984, année du 40e anniversaire du débarquement, ils notent la présence de curieux s'arrêtant sous leurs fenêtres. Ils vont à leur rencontre et, surprise, se font raconter l'histoire de leur propre demeure par d'anciens combattants canadiens.

«Nos parents parlaient très peu du débarquement, disent-ils. Les premières personnes à qui nous avons ouvert nos portes sont des anciens combattants.»

De fil en aiguille, d'une visite à l'autre, la maison a gagné en popularité. Une Association de la Maison des Canadiens a été créée. À l'intérieur, Hervé et Nicole ont transformé une partie des pièces en petit musée. Ils possèdent entre autres une photo de leur maison abîmée par les projectiles prise quelques heures après les combats.

Hervé vous racontera aussi l'histoire fascinante d'un soldat canadien débarqué devant chez lui et qui, ayant blessé et capturé un ennemi allemand, avait accepté l'argent de ce dernier pour le laisser en vie. Les deux billets de l'Allemand donnés au Canadien sont exposés dans la maison.

Chaque année, le 6 juin, Hervé et Nicole Hoffer reçoivent visiteurs et amis, matin, midi et soir, dans la cour arrière. On mange, on rit, on boit un verre. L'ambiance est à la fête alors que, sur la grande promenade aménagée entre la maison et le sable, les touristes s'arrêtent et prennent des photos. Des couronnes de fleurs sont déposées au pied d'un monument commémoratif. Les éclats de rire des invités des Hoffer se mêlent au bruit du ressac et des cris des oiseaux de mer. Tout est calme et en paix. Il fait bon être là.

Photo André Duchesne, La Presse

La Maison des Canadiens à Bernières-sur-Mer, en Normandie.