Paris pansait à peine ses plaies après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper-Casher, l'hiver dernier, quand la chaîne américaine Fox News a fait ses choux gras des «no-go zones», ces poches entières de la ville dans lesquelles régnait, disait-elle, la charia, et où même la police ne pouvait entrer. L'affaire a fait scandale en France. Aucune raison, en effet, de bouder ces quartiers de Paris, qui sont d'ailleurs parmi les plus vibrants.

C'est peu de le dire, les Parisiens n'ont guère apprécié cette information qui, sans surprise, était loin d'en être une. Dans le quartier populaire de Barbès, dans le 18e arrondissement, on a si peu oublié l'affront que l'ouverture d'une brasserie branchée, début mai (la Brasserie Barbès), a été fêtée avec un enthousiasme médiatique quasi suspect comme un pied de nez aux «no-go zones».

«J'habite le quartier depuis longtemps, et c'est vrai qu'il y a une évolution qui se fait, lentement», constate Élisabeth Carteron, présidente d'Action-Barbès, une association de riverains mobilisée pour dynamiser le quartier.

Boulevard de Magenta, au pied du métro aérien, une petite métamorphose a eu lieu avec la réouverture en 2013 du cinéma Louxor - une salle de cinéma au charme rococo construite dans les années 20, puis abandonnée à son sort à la fin des années 80. Face au Louxor, du côté du boulevard Barbès, c'est l'ouverture de l'imposante Brasserie Barbès, sous l'égide de restaurateurs-entrepreneurs bien connus des foodies parisiens, qui fait maintenant rêver au-delà du quartier.

Il faut dire qu'il n'y a pas qu'auprès des Américains de Fox News que le quartier Barbès a mauvaise réputation. Déjà au XIXe siècle, Émile Zola situait rue de la Goutte d'or (juste au-dessus du boulevard de la Chapelle) son célèbre roman L'assommoir. Plus récemment, c'est aussi là qu'a éclaté la controverse - alimentée par l'extrême droite - des prières de rue.

La rue de la Goutte d'or, pavée et relativement étroite, offre pourtant une vue imprenable sur Montmartre et le Sacré-Coeur - nous ne sommes après tout qu'à quelques mètres de la célèbre butte - et un charme certain, en plus d'être pétrie d'histoire. Cette identité riche a d'ailleurs inspiré la Brasserie de la Goutte d'or, première brasserie de bière à s'installer ici (chaque bière a un nom qui fait référence au quartier).

Le 18e arrondissement est multiple. Il compte aussi bien Montmartre, sa butte autrefois populaire, aujourd'hui conquise par les boutiques haut de gamme, que le Sacré-Coeur, haut lieu touristique de Paris. Près du métro Lamarck, on retrouve un quartier aussi vivant, dynamique, mais bien plus bourgeois que Barbès. Enfin, tout près du boulevard de la Chapelle, c'est aussi un secteur en transition qui s'offre au touriste, notamment autour de la Halle Pajol, près des voies ferrées. Le premier écoquartier de Paris qui, avec ses petits potagers et ses vastes terrasses, se donne des airs de Berlin.

Bref, le touriste curieux aurait tort de se priver d'un quartier qui n'a rien d'une «no-go zone».

À la suite de la déclaration de CNN, un photographe parisien a lancé le projet «Portraits de no-go zones» dans le cadre duquel il documente le quotidien des résidants de ces arrondissements cités par la chaîne américaine. 

http://nogozonesparis.tumblr.com/

PHOTO STÉPHANE DE SAKUTIN, ARCHIVES AFP

L'ouverture de la Brasserie Barbès, début mai, a été fêtée avec un enthousiasme médiatique.

À voir dans le 18e

La halle Pajol

Plus qu'un ravalement de façade d'un ancien entrepôt ferroviaire, c'est le premier écoquartier de Paris. C'est simple: on ne s'y sent d'ailleurs pas à Paris. On y trouve des potagers et des jeux pour enfants côté voie ferrée. Du côté de l'esplanade Nathalie-Sarraute, il y a des terrasses, une auberge de jeunesse géante et une bibliothèque. On peut s'asseoir et grignoter aux Petites Gouttes (bistrot, café, traiteur). Et signe que le site est à la mode: une boulangerie américaine s'y est installée (Bob's Bake Shop).

26, rue Pajol, 18arrondissement

Le Louxor

Un cinéma, mais aussi un bar et une terrasse - accessibles toutefois aux seuls détenteurs de billets.

170, boulevard de Magenta, 18e arrondissement

cinemalouxor.fr

La Brasserie Barbès

En face du Louxor et du magasin populaire Tati, un nouveau lieu planté vraiment au coeur de l'action. L'espace complètement refait à neuf totalise plus de 600 m2 sur trois étages et comprend, fait rare à Paris, une terrasse sur le toit. Depuis l'ouverture, début mai, c'est la cohue.

126, boulevard de la Chapelle, 18e arrondissement

brasseriebarbes.com

Restaurant Les Routiers

De dehors, le restaurant ne paie pas de mine. Dedans non plus, d'ailleurs. Mais c'est un vestige d'un autre temps - le dernier restaurant de routiers, dit-on, de la capitale. Les restaurants de routiers sont un peu l'équivalent de la taverne québécoise: on y va pour manger copieusement et étancher sa soif, sans chichi. Ici, on a l'impression de replonger directement dans les années 70, au temps où les restaurants français n'avaient pas de plats végétariens. Les assiettes sont gargantuesques, et l'addition plutôt légère.

50 bis, rue Marx Dormoy, 18e arrondissement

restaurant-les-routiers.fr

La Môme

Autour de l'église Saint-Bernard (connue dans les années 90 pour avoir accueilli des sans-papiers), le petit parc et ses commerces ne manquent pas de charme, dans ce coin pourtant modeste du 18e. La Môme est une adresse à l'image du quartier. On y mange un couscous ou un tajine entre amis dans une ambiance familiale.

16, rue Stephenson, 18e arrondissement

Photo BERTRAND GUAY, archives AFP

Boulevard de Magenta, au pied du métro aérien, une petite métamorphose a eu lieu avec la réouverture en 2013 du cinéma Louxor.

Autour des «no-go zones»

Balades dans des quartiers populaires en mutation.

Autour de Belleville

Depuis la fin des années 90, le 10e arrondissement de Paris est l'un des pionniers de l'embourgeoisement de l'est parisien. Belleville, quartier populaire, prisé d'une immigration notamment chinoise, à cheval sur plusieurs arrondissements (le 10e en bas, le 20e en haut), ne fait pas exception. Si l'on se promène sur les hauteurs de Belleville, il ne faut pas rater l'ambiance village qui règne près du parc de Belleville, qui offre l'une des plus belles vues de la capitale sur la tour Eiffel.

On peut étancher sa soif sur la terrasse qui lui fait face, le O'Paris (1, rue des Envierges). Belleville a maintenant sa brûlerie, fondée en 2013 par un Américain (les Cafés Belleville, qui ont leur siège dans le 19e arrondissement voisin) qui fournit notamment le Café Cream (10, rue de Belleville).

En descendant près du boulevard de Belleville, on croisera la rue Dénoyez - l'une des rues les plus célèbres de Paris pour son art de rue, qui recouvre des façades entières des immeubles. Non loin de là, on peut s'arrêter place Sainte-Marthe, un petit lieu qui semble suspendu hors du temps. (Bar La Sardine, 32, rue Sainte-Marthe, ou le restaurant en vogue Le Galopin, 34, rue Sainte-Marthe).

La rue du Faubourg-Saint-Denis, nouveau repaire des branchés

La mue de cette rue commerçante, qui menait jusqu'à la basilique de Saint-Denis, est sans doute l'une des transformations les plus radicales du Paris populaire. Ce quartier multiethnique est en train de changer de visage, avec l'arrivée de terrasses et de petits magasins plus branchés les uns que les autres. Mais le Faubourg n'a pas complètement perdu son âme populaire - et populeuse.

On peut flâner rue des Petites-Écuries, une rue étroite au charme typiquement parisien. Le restaurant Chez Jeannette (tenu par l'un des propriétaires de la nouvelle Brasserie Barbès) est l'une des adresses hipster ou bobo les plus connues du quartier (47, rue du Faubourg-Saint-Denis). Dans un décor art nouveau remarquable, la Brasserie Julien est aussi une institution (16, rue du Faubourg-Saint-Denis). Près de la porte Saint-Denis, deux enseignes résistent à l'embourgeoisement et ont gardé le charme un peu rustique des cafés parisiens: le Prado (12, rue du Faubourg-Saint-Denis) et son voisin d'en face, le Sully (13, rue du Faubourg-Saint-Denis). À voir aussi, le passage du Prado, un petit passage commerçant typiquement art déco.

Le réveil du 9e arrondissement

Longtemps réputé pour ses sulfureux bars américains (bars avec des hôtesses), le quartier au sud de Pigalle, rebaptisé par les Parisiens «SoPi» (pour «South Pigalle» - nous sommes à Paris après tout) n'a plus rien de vraiment sulfureux. Point de rendez-vous des jeunes Parisiens, le quartier compte de nombreux bars et restaurants. À quelques pas du métro Barbès-Rochechouart, les nouveaux restaurants amènent un peu de fantaisie dans un quartier qui fut longtemps très calme. La vue sur le Sacré-Coeur est magnifique. On peut noter, avenue Trudaine, le Café Corso (une franchise des frères Costes, derrière le restaurant du même nom ou l'Hôtel Amour). Pour prendre un verre, le bar à vin Sparks (85, rue de Dunkerque). Rue Condorcet, un petit restaurant spécialiste des assiettes à partager, niché dans un ancien commerce, ne manque pas de charme - ni d'intimité: Cuisine (50, rue Condorcet).

Le 19e artistique

Comme Barbès, le 19e arrondissement a longtemps traîné une mauvaise réputation. Ce quartier populaire du nord-est parisien a lui aussi entamé une mue tranquille avec la réhabilitation du canal de l'Ourcq et de la Rotonde de la Villette (autrefois repaire pour le trafic de drogue, réhabilité aujourd'hui en restaurant-bar à vin assez prisé: 6-8, place Stalingrad). L'une des transformations majeures du quartier, c'est la reconversion des Pompes funèbres en lieu culturel le Centquatre (5, rue Curial) - un espace incroyablement vivant, qui comprend aussi son café et restaurant au charme vintage (le café caché: 104, rue d'Aubervilliers). L'association pour la promotion du design Le lieu du design a aussi son espace exposition (11, rue de Cambrai). Enfin, inaugurée au début de l'année dans la controverse, la Philharmonie de Paris (conçue par Jean Nouvel) est une addition spectaculaire au quartier de la Villette (221, avenue Jean-Jaurès).

Photo tirée de Flickr

Dans le quartier de Belleville, profitez des espaces verts pour flâner.