La Promenade des Anglais - création hédoniste au 19e siècle pour distraire aristocrates et rentiers attirés par la douceur des hivers de Nice - nourrit 14 expositions estivales dans la ville, autant d'arguments pour défendre une inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO.

La Ville de Nice sollicitera cette inscription auprès du ministère de la Culture français en 2016, sous le double intitulé: «Nice capitale d'hiver et sa Promenade des Anglais».

«Le patrimoine niçois est un témoin de l'avènement du temps de loisirs», résume Jean-Jacques Aillagon, mandaté pour défendre le long processus de la candidature (5 à 10 ans).

Jusqu'à l'aube du 19e siècle, Nice était une vieille bourgade du royaume de Piémont-Sardaigne encadrée par une colline au château détruit et la rivière du Paillon. Le récit de voyage de l'écrivain écossais Tobias Smollett, publié vers 1766, va notamment captiver le public anglais.

Une ville nouvelle se développe sur l'autre rive de la rivière et va devenir une véritable «capitale d'hiver» avant 1850, où l'on aménage parcs et promenades pour profiter du plein air. Des espèces exotiques, comme les palmiers ou les orangers, vont peupler les terrains pelés.

Les hivernants anglais s'installent en colonie, la Reine Victoria devient une adepte. Arrive aussi une communauté russe dans le sillage de l'impératrice de Russie. Fleurissent grands hôtels et villas extravagantes de familles nobles puis d'industriels européens.

Une promenade témoin de l'évolution des loisirs

La «Promenade des Anglais» nait de l'initiative d'un révérend anglais et de son beau-frère installés dans le nouveau quartier («New Borough»). Un premier «sentier» de terre modeste est ainsi terminé en 1824, révèle un ouvrage érudit et richement illustré, dédié aux expositions.

S'approprier le rivage pour les loisirs est «une nouveauté absolue», pointe Hervé Barelli, spécialiste de l'histoire de Nice. Le dernier raid barbaresque sur le rivage niçois remonte à 1814!

Sur le modèle anglais, on érige un casino aux formes orientales sur une jetée-promenade au-dessus de la mer, vers 1880. À la Belle époque, Nice est à son apogée avec un public cosmopolite.

À partir des années 1920 naîtra le tourisme d'été sous l'impulsion d'expatriés américains sur la Côte d'Azur comme l'écrivain John Dos Passos.

«La mer consommée a remplacé la mer contemplée», souligne Agnès Monge, chargée d'études sur le patrimoine, qui calcule que 600 immeubles pour certains Art déco sont érigés à Nice durant l'entre-deux-guerres.

La mode des plaisirs aquatiques et de la plage débouchera, avec les congés payés, sur le tourisme de masse.

Une exposition au Musée Masséna - 700 tableaux, photos, affiches, plans, documents - sert de «poisson-pilote» à la candidature niçoise pour un classement, estime son commissaire Jean-Jacques Aillagon. Elle ravira les férus d'urbanisation et d'architecture, en retraçant l'évolution de la ville du milieu du 18e siècle à nos jours.

«La ville est un objet patrimonial original, compte tenu de sa précocité et de la qualité des immeubles», plaide l'ancien ministre de la Culture, qui entend aussi défendre l'architecture des temps modernes.

Il déplore néanmoins une série d'irréversibles outrages, comme la destruction du palace Ruhl (construit en 1912), fleuron Belle époque démoli en 1970 avec le feu vert de l'ex-maire Jacques Médecin, remplacé par un glacial hôtel Méridien.

Le casino sur la jetée-promenade, tant reproduit par les artistes, a pour sa part été détruit par les Allemands en 1944. L'exposition du Palais Masséna le fait revivre avec un «traveling» réalisé en 1897 depuis la mer par les frères Lumière.

Un panoramique de photos en noir et blanc de «la Prom» du 21e siècle court dans plusieurs salles, surmonté de clichés de bâtiments antérieurs parfois rasés, jadis au même emplacement. Finie la bucolique ferme d'autruches du bord de mer...

Les expositions estivales rappellent aussi que Nice a attiré une ribambelle d'artistes, de musiciens et d'écrivains.

Le musée Matisse fort de prêts de musées américains, montre par exemple comme Matisse observait au début du 20e siècle ce bord de mer lumineux par l'entrebâillement des persiennes depuis l'intérieur feutré d'une chambre d'hôtel ou de son atelier.

Les expositions sont visibles jusqu'au 4 octobre.