Un demi-millier de boutiques, des salles de spectacle, un parc aquatique et même une piste de ski: un projet pharaonique de complexe commercial aux portes de Paris, visant à attirer touristes et habitants de la capitale, cristallise les passions.

«Ambitieux», «utopique», «démesuré»... Le gigantesque ensemble EuropaCity, que le troisième groupe de distribution français, Auchan, rêve d'ouvrir d'ici 2025, doit voir le jour sur 80 hectares de terres agricoles à Gonesse, à 20 kilomètres au nord de Paris.

L'opération doit renforcer l'attractivité de l'une des zones les plus déshéritées de la région. Son coût estimé à près de deux milliards d'euros en fait le plus gros projet d'un investisseur privé en France depuis la construction de Disneyland Paris en 1992.

«L'objectif, c'est de constituer un morceau de ville, avec un ensemble de parcs, de rues, ni un centre commercial classique ni un parc d'attractions à proprement parler», explique Christophe Dalstein, directeur du projet au sein de la filiale immobilière d'Auchan. Le site, «librement accessible», s'adressera aux habitants de la région, «mais aussi aux touristes», précise-t-il.

Confié à l'architecte danois Bjarke Ingels, le complexe doit être desservi par une station de métro automatique et recouvert d'un toit végétalisé, formant collines et vallons.

En son sein, «2700 chambres d'hôtels, 20 000 m2 de restaurants, deux salles de spectacles et une salle dédiée au cirque contemporain», détaillent les promoteurs. Mais aussi un parc d'attractions, un centre aquatique, une ferme avec cueillette, un marché aux puces et un «parc des neiges» de 30 000 m2, avec pistes de ski et remontées mécaniques.

Folie des grandeurs? Pari sur l'avenir? La famille Mulliez, propriétaire du groupe Auchan, troisième distributeur français, est «réputée pour avoir la tête sur les épaules», relève Didier Arino, directeur de Protourisme, cabinet d'expertise qui fait référence dans le secteur du tourisme. «Mais il faut toujours se méfier du prévisionnel flamboyant des promoteurs (...) Les projets hybrides, comme c'est le cas ici, sont compliqués à mettre en oeuvre», met-il en garde.

De fait, les interrogations ne manquent pas. «C'est le modèle du projet sous cloche, une bulle parfaite où le citadin est censé trouver son bonheur de tous les instants», critique le géographe Michel Lussault. Il y voit «la signature architecturale de la puissance financière.»

«On n'est pas au Qatar»

Sur place, les opposants sont virulents. «EuropaCity va avoir un impact désastreux. C'est un projet caricatural», tonne Alain Lennuyeux, président du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG), qui fédère une vingtaine d'associations hostiles au projet.

Au coeur des préoccupations, la disparition de terres dédiées à l'agriculture, «des terres d'une excellente qualité», nécessaires à «l'autosuffisance alimentaire» de la région parisienne, assure une association locale de défense de l'environnement.

Grief supplémentaire: EuropaCity, qui ambitionne d'accueillir 30 millions de visiteurs par an, arrive dans une zone déjà saturée de centres commerciaux.

Des arguments balayés par les autorités locales, qui voient dans la création de 17 500 emplois prédite à terme par Auchan une planche de salut face au chômage élevé de la région.

«EuropaCity ne suffira pas à régler tous les problèmes, mais c'est une chance qu'il faut saisir», défend le député-maire socialiste de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, fustigeant une posture «intégriste» des opposants.

Soutenus par les Verts, ces derniers rêvent eux de fédérer une opposition digne d'un «nouveau Notre-Dame-des-Landes», un projet d'aéroport près de Nantes, dans l'ouest de la France, qui a donné lieu ces dernières années à de violentes manifestations et contribué à la rupture entre le pouvoir socialiste en place à Paris et ses anciens alliés écologistes.

Dominique Plet, un agriculteur de 70 ans dont la famille est implantée sur place depuis cinq générations, se désespère à l'idée de voir mourir son exploitation céréalière: «Ces terres, on les cultive depuis cinq générations, on n'a pas envie de les quitter».

Au loin devant lui se distinguent les silhouettes du Sacré-Coeur et de la Tour Eiffel. «Vous imaginez, là, une piste de ski? On n'est pas au Qatar!», ironise l'agriculteur.