Dans le vignoble bordelais en France, face à une poignée d'irréductibles crus prestigieux, forteresses impénétrables pour le commun des mortels, nombre de châteaux renommés et de propriétés plus modestes s'ouvrent bon gré mal gré au tourisme, conscients que leur avenir dépend aussi de lui.

Le vignoble aquitain attire 3,3 millions de visiteurs par an. Plus de 13 700 d'entre eux ont eu recours aux visites organisées par l'Office du tourisme de Bordeaux, entre janvier et juillet 2010, une augmentation de 21,88%.

Mais la grande majorité des touristes se rendent de leur propre chef dans les propriétés, souvent attirés par la notoriété du site, selon une étude du centre régional du tourisme d'Aquitaine.

«Ils veulent tous visiter Lafite, Margaux, Latour ou Ausone et ils ne trouvent pas forcément la réponse», admet Sylvie Cazes, chargée de la valorisation économique de la filière viticole auprès du maire de Bordeaux.

«Il y a une vraie volonté d'ouverture, mais ça balbutie encore», déclare-t-elle à l'AFP. «Chacun a une politique différente. Il y a des crus qui se mobilisent et commencent à s'organiser et il y en a d'autres pour qui ce n'est pas une priorité».

De fait, l'amateur des crus les plus prestigieux se heurte souvent à des portes fermées.

Dans le club d'élite, les visites ou les dégustations sont généralement réservées aux professionnels du vin. L'amateur peut toujours faire une demande par écrit entre un et six mois à l'avance.

«On est très sollicités mais on reste assez fermés, c'est parfois mal compris», reconnaît Pierre-Olivier Clouet, directeur technique de Château Cheval Blanc, grand cru classé À de Saint-Emilion.

Sur le site du Château d'Yquem, premier cru supérieur de Sauternes, la guide parle «savoir-faire», «expérience» et «quête de l'excellence» comme en «haute couture».

«C'est un produit d'exception», déclare à l'AFP Pierre Lurton, président d'Yquem et gérant de Cheval Blanc. «Il faut lever les ponts levis, ouvrir les murailles» mais «il ne faut pas banaliser le lieu, les gens doivent se sentir privilégiés des lieux», ajoute-t-il.

Dans les 11.000 châteaux du bordelais, l'accueil s'est amélioré depuis deux ans, date du classement de Bordeaux au patrimoine mondial de l'Unesco.

S'il trouve encore portes closes en août et le week-end, le touriste voit fleurir les initiatives : son et lumières dans les carrières de Villemaurine, atelier d'assemblage de son propre vin à Haut-Sarpe, initiation à la dégustation à Lynch-Bages, circuits destinés aux étudiants...

Avec sa fête du vin et bientôt son centre culturel du vin, Bordeaux figure au top 10 des escapades oenologiques de TripAdviser.

«C'est en marche», ajoute Sylvie Cazes, dont la propriété de Lynch Bages, dans le Médoc, joue depuis 20 ans la carte du tourisme.

«Ce n'était pas dans la tradition, mais aujourd'hui c'est entré dans les moeurs», estime Sophie Gaillard, chargée de mission oenotourisme à l'Office de tourisme. Si le mode de distribution par le négoce, spécifique à Bordeaux, n'encourage pas à la vente directe, l'oenotourisme tend à devenir un outil de promotion face à la crise.

Prestations de luxe, réceptions au château, Bernard Magrez, inspiré par la Napa Valley, a poussé le tourisme viticole à son paroxysme dans ses trois grands crus bordelais, recevant 15.000 visiteurs l'an dernier.

«C'est un devoir pour garder nos parts de marché», dit-il, car la concurrence étrangère touche de plus en plus le haut de gamme et «il ne faut pas attendre».

«C'est à nous de faire connaître nos vins, renchérit Pétrus Desbois, copropriétaire de Château Saint-Georges, à St-Georges-St-Emilion. Toutes les propriétés doivent être ouvertes, ouvrons les portails !»