Le célèbre établissement du chef catalan Ferran Adrià est fermé depuis deux ans et ne revivra qu'en 2014, sous une forme bien différente. En attendant l'ouverture de la Fondation elBulli, qui sera un centre consacré à la créativité, une exposition nous fait découvrir la petite histoire du restaurant et, surtout, la naissance d'une nouvelle approche culinaire.

Il est de bon ton aujourd'hui de railler contre la cuisine moléculaire, comme on l'a fait jadis avec la nouvelle cuisine française. C'est oublier un peu vite l'importance de cette révolution pour la gastronomie occidentale. Dans les arts majeurs, cette étape où les praticiens délaissent les codes établis pour créer un nouveau langage et amener le public ailleurs a été franchie il y a longtemps, et plusieurs fois depuis.

À l'instar de la peinture, de la musique ou de la littérature, qui ont maintes fois trouvé de nouvelles manières de faire voir, entendre ou comprendre le monde, la cuisine moléculaire nous a donné de toutes nouvelles façons de goûter et de ressentir les aliments. Il était temps.

«La décontextualisation, l'ironie, le spectacle et la performance sont complètement légitimes s'ils ne sont pas superficiels mais répondent, ou sont étroitement liés, à un processus de réflexion gastronomique», précise l'article 21 de la philosophie elBullli, énoncée en 2005.

La cuisine de Ferran Adrià n'est pas apparue par miracle au fond d'une éprouvette. C'est le résultat d'une recherche patiente et méthodique où la réponse à une question banale comme «qu'est-ce qu'une sauce?» peut jaillir des années plus tard du bec d'un siphon.

Nouveaux chemins, nouveaux plats

Jusqu'en 1993, Ferran Adrià et ses cuisiniers cherchaient, comme tous les chefs, à créer de nouveaux plats. À partir de 1994, ils se sont mis en quête de nouvelles méthodes et techniques, en se disant qu'en procédant de la sorte, ils ouvriraient de nouveaux chemins qui leur permettraient de créer beaucoup de nouveaux plats. La déconstruction et la sphérification sont deux exemples évidents de cette démarche soigneusement consignée dans les cahiers où le chef catalan et son équipe notent et dessinent tous les tests. Près de 1900 recettes ont ainsi vu le jour entre 1987 et 2011 - dont l'écume de carotte, le caviar de melon, l'éponge de sésame noir et miso, et les ressorts de caramel à l'huile d'olive.

«L'important n'est pas d'être le premier à le faire, mais de le conceptualiser», explique un Ferran Adrià grandeur nature dans une vidéo où il évoque l'histoire de la minijupe. Égyptiens, Grecs et Romains en portaient, mais il a fallu une Mary Quant pour que le vêtement descende dans la rue dans les années 60.

La chronologie richement illustrée, le déroulement d'un souper projeté sur la nappe blanche d'une table, l'espace cuisine: toute la scénographie concourt à nous faire partager l'expérience elBulli. L'exposition se termine sur une note particulièrement émouvante, le film du dernier service au soir de la fermeture, le 30 juillet 2010.

Ferran Adrià et elBulli: risque, liberté et créativité, au Palau Robert de Barcelone, jusqu'au 3 février 2013. Entrée libre.

www.gencat.cat/palaurobert