Ce n'est encore qu'une ébauche de gratte-ciel d'à peine quelques étages. Mais le projet d'une immense tour vitrée dominant Séville menace déjà le riche héritage millénaire de la belle cité andalouse, qui pourrait perdre son label «Patrimoine mondial» de l'Unesco.

«La nouvelle tour de 51 000 mètres carrés définira le nouvel horizon de Séville», annonce fièrement sur son site l'atelier du prestigieux architecte César Pelli, auteur des tours Petronas de Kuala Lumpur et chargé par la caisse d'épargne Cajasol de concevoir la structure elliptique de 178 mètres pour abriter ses bureaux à partir de 2012.

Son enthousiasme n'est cependant pas partagé par l'Unesco, qui demande en vain depuis juillet l'arrêt provisoire des travaux.

Pressée de pouvoir «déterminer si la tour a un impact visuel sur le centre historique de Séville», l'organisation prépare une mission d'inspection avec le Conseil International des Monuments et des sites (Icomos), a indiqué à l'AFP une responsable de l'Unesco, Lucia Iglesias Kuntz.

Le bâtiment en construction ne compte encore que huit des 41 étages prévus mais il impose déjà sa silhouette sur la rive du fleuve Guadalquivir.

Or, à quelques centaines de mètres, des bétonnières à l'oeuvre, sur l'autre berge, s'élèvent les trois précieux monuments qui ont valu à la ville de recevoir en 1987 le label de «Patrimoine mondial» décerné par l'Unesco.

L'ancien minaret de la Giralda, chef-d'oeuvre de l'architecture typique de la dynastie musulmane des Almohades, qui domine à près de 100 mètres de haut la cathédrale de Séville, où repose l'explorateur génois Christophe Colomb.

L'Alcazar, palais millénaire construit à l'époque pour le gouverneur musulman.

Et enfin les «Archives des Indes», où sont conservés des documents datant de la découverte du «Nouveau Monde.»

Les inspecteurs chargés de vérifier si la tour Pelli altère la perspective de ce patrimoine cher aux Sévillans arriveront «très rapidement» sur place, a indiqué à l'AFP une source proche du dossier. Leur rapport sera examiné lors de la prochaine réunion du Comité du patrimoine mondial, à l'été 2012.

Baptisée «Fais-là tomber!» («Tumbala!» en espagnol), une plate-forme militante contre la construction de la tour attend avec inquiétude la visite des experts, car elle concrétise «les risques avérés que notre ville soit expulsée de la liste du Patrimoine mondial», estime-t-elle dans un communiqué.

Elle enjoint donc la mairie à « paralyser les travaux en prévision de la décision très probable de l'Unesco contre la tour ».

Élue en mai, la nouvelle municipalité de droite rétorque qu'elle n'avait pas encore pris ses fonctions lorsque le Comité de l'Unesco a demandé de bloquer la construction. «Cela a retardé la décision» de faire cesser les travaux, admet Cristina Cuervas, une porte-parole de la mairie.

Si elle assure que le chantier est «légal», la mairie se battra cependant pour sauver le précieux label, assure-t-elle: «Le maire ne permettra pas que Séville perde la déclaration de patrimoine historique. Elle est très importante pour la ville».

La capitale andalouse «dispose de tout un éventail de mesures» pour l'éviter, rassure Lucia Iglesias Kuntz.

Mais si le Comité du Patrimoine mondial jugeait les dommages irréversibles, Séville pourrait à terme rejoindre le triste club des très rares sites à n'avoir jamais été déclassés depuis la création en 1972 du label: en 2007, le sanctuaire de l'antilope Oryx à Oman, sacrifié par les autorités pour exploiter le pétrole souterrain, et en 2009, la vallée de Dresde, en Allemagne, après la construction d'un pont.