Mieux que nulle part ailleurs, c'est dans les villages blancs d'Andalousie que l'expression «ça passe ou ça casse» prend tout son sens.

Pour la petite histoire, disons d'abord qu'au comptoir de location, nous nous attendions à tout sauf à recevoir les clefs de cette grosse (et laide, mais laide!) Citroën Berlingo. Après tout, n'avions-nous pas réservé une petite économique?

 

C'est donc à bord de ce bateau pas très adapté à la conduite dans de toutes petites rues que nous avons attaqué la visite de ces villages haut perchés dans les montagnes et réputés pour l'homogénéité de leurs maisons aux murs blanchis qui réfléchissent la lumière et la chaleur.

Point de départ de l'excursion: Cadix, au bord de l'Atlantique. Villages choisis (après consultations auprès de pas mal d'Espagnols): Arcos de la Frontera, Grazalema et Ronda. Mais ça aurait tout aussi bien pu être Jimena de la Frontera, Setenil, Zahara de la Sierra... Il n'y a pas de mauvais choix, c'est comme on le sent, selon que l'on a devant soi une seule journée, ou deux, ou trois.

Quels que soient les villages choisis parmi la vingtaine qui s'offrent à nous, on tombera sous le charme de ces rues étroites, de ces maisons immaculées et si généreusement fleuries. Pour tout dire, les villages blancs d'Andalousie offrent au visiteur tout ce qui fait défaut à la Costa del Sol: le silence, l'authenticité, l'impression, surtout, qu'ici, rien n'a changé depuis des siècles et que rien ne changera plus jamais.

Tout cela se mérite et pour atteindre l'un ou l'autre des villages, il faut d'abord avoir le coeur solide. Par peur de transmettre le vertige à mon courageux conducteur, par longs moments, je me taisais et je ne disais surtout rien des précipices toujours plus creux qui se trouvaient de mon côté. Comme s'il ne voyait pas lui-même qu'une fausse manoeuvre...

Premier constat en arrivant à Arcos de la Frontera: pour les piétons du coin, se ranger sur le pas des portes est une seconde nature. Une voiture, ça va, à la rigueur, en rabattant bien les rétroviseurs. Une voiture et un piéton? Non.

«Attends, es-tu sûr que ça passe?» ai-je demandé à répétition. Je nous imaginais d'ici, expliquant au monsieur de l'entreprise de location que la Citroën, voyez-vous, elle ne bouge plus du tout, coincée entre deux maisons et plein de pots de géraniums...

À Grazalema, on ne s'est pas posé de question. La voiture, elle est restée bien en retrait du village. C'est là, à Grazalema, qu'on a mangé une salade et bu un tinto de verano sur la place principale, devant l'église. Pendant que l'on mangeait, un chien est venu faire «ami ami» avec nous, un chien tout calme, dans un village tout calme, tout en fleurs et baigné de soleil où l'on n'a vu que deux ou trois touristes - ah! la basse saison!

À Ronda - où l'on a filmé Carmen, en 1984 - c'est déjà autre chose. C'est plus gros, mais toujours spectaculaire: quel coup d'oeil que ce village carrément coupé en deux par un précipice profond de près de 100 m! Par sa situation géographique, Ronda a été l'un des derniers bastions musulmans à tomber aux mains des chrétiens, au XVe siècle.

Le jour allait tomber bientôt, et il fallait bien repartir, d'autant plus que nous rêvions depuis le début du voyage de Gibraltar. Mais quand la sierra a été derrière nous, quand nous avons atteint la Costa del Sol toute bétonnée, nous n'avions qu'une envie: rebrousser chemin et nous refaire cette journée hors du temps...