Les Berlinois se bousculent pour un dernier vol d'adieu dans un appareil des années 40 à l'aéroport de Tempelhof, symbole du pont aérien qui sauva Berlin-Ouest du blocus soviétique il y a 60 ans et qui ferme à la fin du mois.

Après plus de 80 années de loyaux services, l'aéroport et son monumental terminal construit par les nazis avec une architecture alors avant-gardiste va cesser son activité. Il n'est plus adapté au 21e siècle, notamment en raison de sa situation enclavée dans Berlin.

Sa fermeture a déclenché une vague de nostalgie dans la capitale allemande, où on apprécie son architecture unique - un bâtiment semi-circulaire de 1230 m de long embrassant deux pistes d'atterrissage -, mais surtout le symbole d'une amitié transatlantique.

Entre le 25 juin 1948 et fin septembre 1949, le ciel de Berlin-Ouest fut le théâtre d'un incessant ballet aérien d'avions-cargos, venus du bout du monde pour ravitailler 2,5 millions de Berlinois isolés par Moscou qui voulait tester la résistance de cette enclave américano-franco-britannique en zone soviétique.

Le 25, les premiers Dakota britanniques se posaient à Tempelhof, suivis le 26 par des avions de l'US Air Force.

Aujourd'hui, décoller depuis le tarmac historique à bord d'un vieux DC-3 à hélices pour un voyage de 30 minutes coûte 179 euros par personne. Tous les billets sont vendus.

«Je veux avoir à nouveau cette vieille sensation de s'envoler au milieu des grincements et des claquements», s'enthousiasme Peter Kirchoff, un proviseur à la retraite âgé de 66 ans portant un blouson de pilote.

«Tempelhof a toujours eu un vrai cachet», acquiesce sa conjointe Ilona Stach, une ancienne enseignante de 59 ans qui se souvient dans les années 1960 envier les voyageurs fortunés en partance pour des destinations exotiques.

C'est désormais à son tour d'être accueillie par des hôtesses en tenue des années 1940, qui tendent gracieusement des verres de mousseux dans ce qui était le salon des pilotes.

Heinz, 65 ans, un artisan originaire d'ex-RDA communiste, raconte avoir pris le premier vol de sa vie à Tempelhof, dont le hall d'entrée «grandiose» l'a durablement marqué.

«J'ai pris un vol juste avant 1961», se souvient-il. Deux ans plus tard, le Mur de Berlin était construit, et il a dû attendre la chute du rideau de fer en 1989 pour reprendre l'avion.

Après un film où un ancien pilote américain du pont aérien décrit qu'en plus des besoins de première nécessité, il lâchait pour les enfants des bonbons accrochés à des petits parachutes faits de mouchoirs, c'est l'heure du départ.

Construit en Grande-Bretagne en 1944, le DC-3 a ensuite servi en Indonésie et au Liban. Pour l'occasion, il a été rebaptisé Captain Jack O. Bennett, du nom de son premier pilote, qui a débarqué une cargaison de pommes de terre à Berlin, où il s'est finalement installé et est mort en 2001.

«C'est très difficile d'apprendre à piloter ces machines parce qu'il n'y a pas de simulateur», expliqué le pilote Thomas Molber.

Le survol de Berlin offre une leçon d'histoire allemande et mondiale: le stade olympique d'Hitler, où le noir américain Jesse Owen a humilié la «race supérieure», le lac de Wannsee où fut décidée en 1942 la «solution finale» pour éliminer les juifs, ou encore le château Cecilienhof à Potsdam, où fut signé en 1945 l'accord consacrant la division de l'Allemagne entre les autre vainqueurs de la seconde guerre mondiale.

Retour à Tempelhof. Sa fermeture est inéluctable, mais son avenir reste vague, la ville hésitant entre parc de biotechnologies, studios de films ou centre d'énergie solaire géant.