Alors que l'ONU se penche sur la préservation de la biodiversité, l'Europe a des trésors à protéger.

Par exemple, l'une de ses grandes forêts alluviales, qui baigne dans le dernier fleuve sauvage d'Allemagne, l'Elbe, est objet de convoitises.

L'Elbe, qui prend sa source en République tchèque, coule à travers l'ex-RDA et Hambourg avant d'affluer dans la mer du Nord. Elle a bénéficié d'un sursis pendant les 40 ans de la RDA, dont le budget exsangue excluait toute transformation du fleuve pour y améliorer la navigation.

 

Dans le bassin moyen de l'Elbe autour de Magdebourg - une zone de 43 000 hectares classée par l'UNESCO -, son lit, quasiment intact, s'étend jusqu'à 10 km de largeur. L'Elbe s'écoule dans des méandres entre îles et bancs de sable, mouille des prairies et des forêts puis se retire, dans un va-et-vient incessant qui a permis à travers les siècles le développement d'une biodiversité tout à fait particulière.

On y trouve la plus grande forêt alluviale de bois dur d'Europe centrale, sur 1300 km2, mais au-delà de ce superlatif, chaque île, chaque prairie est un biotope en soi, le tout lié par l'eau, une des dernières retraites pour certaines espèces.

Le bassin moyen de l'Elbe, qui sert aussi de point de chute aux oiseaux migrateurs, abrite quelque 3300 plantes, 5080 espèces animales, dont 49 de mammifères, 500 de papillons, 132 d'abeilles et 250 d'oiseaux.

Y figurent des espèces menacées en Allemagne comme le castor, la loutre, la cigogne blanche et la noire, le martin-pêcheur, le balbuzard, le hibou des marais, le faucon pèlerin, la rainette, la couleuvre à collier ou la tortue d'eau douce.

Ce paradis a un ennemi, le potentiel économique d'un fleuve reliant le coeur de l'Europe centrale à la mer du Nord. L'Elbe, où se trouve le deuxième port d'Europe, Hambourg, et qui est reliée à des canaux rejoignant le Rhin et la mer Baltique, a été présentée dans les années 90 comme une alternative au transport routier et ferroviaire.

Engagements

Pour étendre la navigation - limitée à l'hiver et aux de petits cargos - à de gros bateaux toute l'année, il faudrait transformer le fleuve: écluses, approfondissement, canalisation partielle...

«Si le lit est domestiqué, le va-et-vient du fleuve disparaîtra, ce qui menacera la survie de la biodiversité alluviale», regrette Ernst Paul Dörfler de l'organisation écologiste BUND. Quant aux écluses, «elles seraient fatales aux poissons migrateurs, comme le saumon, qui ne peuvent plus remonter le fleuve», ajoute-t-il.

Un autre argument décisif avait calmé les ardeurs en 2002, après les inondations catastrophiques des rives de l'Elbe. On dénonça des canalisations partielles qui avaient privé le fleuve d'une partie de son lit naturel.

Vainqueurs des élections législatives la même année, sociaux-démocrates et verts s'étaient engagés à «ne pas réaliser les mesures de développement de l'Elbe».

Aujourd'hui encore, le ministère des Transports à Berlin dément toute velléité de changer le fleuve, parlant de simple «remise en état». Mais les écologistes soupçonnent des transformations ponctuelles favorables au lobby des transporteurs fluviaux qui va jusqu'à demander la canalisation de l'Elbe.

L'État régional de Saxe-Anhalt, où l'économie est à la traîne, y voit lui une aubaine pour ses ports de Magdebourg et de Halle. Il a participé à la mise en place d'un projet controversé: la construction d'un canal de 7,5 km reliant l'Elbe à un affluent, la Saale, destiné à permettre le transport de fret de l'un à l'autre.

Nombre d'initiatives citoyennes et écologistes dénoncent un «canal fantôme», dénué de sens puisque l'Elbe, dont les eaux sont peu profondes, n'est pas adapté au transport de fret lourd.