Plus de 20 ans après la chute du Mur, les clubs de Berlin attirent toujours des touristes du monde entier, mais l'embourgeoisement du centre-ville les relègue en périphérie, au point d'inquiéter la municipalité. Les queues de «clubbers» qui se forment chaque week-end devant le «Berghain», consacré meilleur club du monde par un magazine spécialisé britannique en 2009, sont peut-être l'arbre qui cache la forêt.

Ces derniers mois, plusieurs clubs plus modestes du centre-ville de Berlin ont été poussés à mettre la clé sous la porte pour cause de projets immobiliers ou de plaintes de riverains. À Prenzlauer Berg, dans l'ex-Berlin-Est, une population bourgeoise remplace depuis plusieurs années les ouvriers et artistes qui peuplaient ce quartier réputé branché. Les nouveaux venus revendiquent le droit au calme nocturne.

La série noire a démarré en novembre avec le «Knaack», 58 ans d'existence, fermé après la plainte en justice d'habitants excédés par le bruit, suivi en janvier de l'«Icon», 15 ans de soirées «drum and bass».

Le «Klub der Republik» attend à son tour l'arrivée des bulldozers. «Démolition à partir du 01.02.12», clame une banderole installée par les gérants. Des admirateurs ont déposé des bougies et fleurs sur le sol. La façade du bâtiment est couverte de faire-parts de condoléances.

Cette institution qui venait de fêter ses 10 ans était connue bien au-delà des frontières de la ville, notamment pour son mobilier hérité de la RDA. Les locaux vendus il y a deux ans à un groupe immobilier allemand doivent céder la place à un immeuble d'appartements. «Les gens nous aimaient vraiment beaucoup», explique Deacon Dunlop, 40 ans, responsable de la programmation des soirées. Cet Américain installé à Berlin depuis 1995 dit chercher un nouvel endroit. «C'est terrible et triste quelque part».

Après la chute du Mur, Berlin, avec ses nombreuses friches à l'est, est devenu l'eldorado de toute une génération qui s'était empressée d'investir hangars, fabriques et immeubles désaffectés en tous genres. «Il suffisait de voir de la lumière dans une cave pour s'inviter», se souvient Deacon Dunlop.

Aujourd'hui, la métropole considérée avec Detroit comme l'un des berceaux de la musique électronique compte 300 clubs. La municipalité a déclaré 15 d'entre eux en danger et décidé de défendre «ce bout de culture berlinoise», selon Richard Meng, porte-parole de la ville.

Le Français «Zaath» qui tient le blogue Berlin-Techno, résume le problème: «la grande force de Berlin, c'est ses clubs au centre de la ville», mais ils doivent «aller vers la périphérie». D'après lui, la hausse des prix immobiliers était inéluctable dans une capitale européenne aussi bon marché, et marque la correction d'une «anomalie». Longtemps accusée de laisser faire, la municipalité a décidé de créer un «Music Board», une structure dotée d'un million d'euros pour soutenir la branche qui compte plusieurs milliers de labels de musique locaux. «Pour la ville, il s'agit bien sûr d'un enjeu important», reconnaît Ben de Biel, responsable du «Magdalena», un club en sursis installé sur les bords de la Spree au milieu des herbes folles. Il estime toutefois que Berlin conserve un grand potentiel: «les acteurs d'hier -- DJ, responsables de clubs -- vont s'adapter», promet-il.

Lutz Leichsenring, de la Commission des clubs, qui représente 120 adresses berlinoises, prédit que les 10 à 15 prochaines années seront «critiques». «Pour maintenir (notre) réputation, nous avons besoin d'endroits», dit-il rappelant qu'après le quartier central de Mitte, les quartiers populaires de Kreuzberg et Neukölln sont frappés par la hausse de l'immobilier. «L'espace libre que les artistes, les créatifs, les clubs obtenaient ces dernières années pour une bouchée de pain va se payer très cher.»