À sept mois du 70e anniversaire du Débarquement, la Normandie planche pour attirer durablement plus de 5 millions de «touristes de la mémoire» par an, mais des universitaires redoutent de voir apparaître un «Disneyland» de la Seconde Guerre mondiale.

«Il faut développer la fréquentation touristique au-delà de 2014» pour que la Normandie demeure «la destination par excellence pour le tourisme lié à la Seconde guerre mondiale», a martelé jeudi Raphaël Chauvois, conseiller régional délégué au tourisme, au premier «Forum du tourisme de la mémoire» organisé par le conseil régional à Caen.

Avec les plages du débarquement allié du 6 juin 1944, la Basse-Normandie est la région qui compte le plus de sites liés à l'Histoire en France. Cette activité y génère un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros (environ 2,1 milliards$ CAN) et 24 000 emplois.

«Par ces temps difficiles, on doit mettre en avant ce potentiel pour faire de la Normandie la destination de la paix», a ajouté le président de Région, Laurent Beauvais.

La mémoire de la bataille de Normandie est à un tournant: le 6 juin 2014 sera sans doute le dernier anniversaire décennal en présence d'anciens combattants du Jour-J. Au-delà, l'enjeu est d'attirer «des visiteurs qui ont de moins en moins de liens familiaux avec les événements», a souligné Dominique Niset, du cabinet de consultants Traces TPI, en présentant à la demande de la Région une «stratégie marketing» pour «faire du territoire de la bataille de Normandie un espace de promotion».

La Région et l'État ont labellisé à cet effet 160 événements prévus jusqu'à l'anniversaire de la fin de la bataille de Normandie en août. Et le conseil régional espère signer début 2014 un «contrat de destination» avec l'État pour mieux coordonner initiatives privées et publiques.

Un «Guide du Routard de la bataille de Normandie», attendu en avril, sera téléchargeable gratuitement pendant six mois sur internet.

«Pour 2014, certains parlent de 7 à 8 millions de visiteurs en Normandie. Mais 2015 ça va être difficile, pas pour nous, mais pour beaucoup de sites de la région», confie à l'AFP Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial de Caen, site de mémoire le plus visité en France avec 380 000 entrées annuelles.

«Démarche marketing»

Pour lui, «il faut s'adapter aux jeunes, s'approprier leurs outils comme Facebook, prendre en compte le fait qu'après deux heures de bus ils ne sont pas réceptifs à la visite d'un musée». Et surtout «donner du sens» et ne pas se contenter d'exposer des uniformes sans réel commentaire, comme le font certains musées de la côte, selon un historien du Mémorial.

«Il faut faire de la haute qualité», insiste Laurent Beauvais.

Raphaël Chauvois plaide pour «des forfaits associant musées et hôtels» et démarcher différentes nationalités, par exemple les Allemands.

«Je vais prendre un exemple un peu provocateur», a lancé Christian Mantéi directeur général d'Atout France. «Quand Disneyland s'est installé en France, pendant les deux ans qui ont précédé, ils ont communiqué à chacune des avancées de leur projet, il faut faire la même chose», a ajouté le DG de l'entreprise qui aide la Région à préparer son «contrat de destination».

«Disneyland», c'est justement ce que redoute Jean-Yves Boursier, anthropologue à l'École des hautes études en sciences sociales.

«Ici comme ailleurs, il peut y avoir des dérives. En Pologne, en sortant de visiter un camp d'extermination, j'ai vu vendre des figurines antisémites», a-t-il dit à l'AFP.

Rémy Knafou, géographe et professeur à la Sorbonne, a pointé un risque de «lisser l'Histoire». «Quand on est dans une démarche marketing, si on veut avoir le public des Allemands, est-ce qu'on va en arriver à dire que les Allemands se sont très bien comporté?» s'est-il interrogé.

«Il n'est pas aisé, lorsqu'on regarde aujourd'hui les plages d'Omaha, de se représenter l'incroyable hécatombe», ajoute l'universitaire, «réservé» sur la possibilité d'un «véritable tourisme de mémoire».