Champagne. Parmi les amateurs de vin, ce nom fait rêver. Le «pop» du bouchon, les bulles, la fête, un certain luxe aussi. Celui de s'offrir occasionnellement ce produit exceptionnel. On pense aussi aux grandes maisons légendaires, aux bouteilles hors de prix, à Reims et sa cathédrale... Mais oubliez Dom Pérignon et les autres noms inabordables un petit moment. Laissez aussi les incontournables Reims et Épernay pour découvrir une autre facette de cette région viticole fabuleuse, en Aube-en-Champagne, pays des petites maisons familiales qui chérissent les bulles plus que l'argent que celles-ci rapportent. Voilà un voyage effervescent.

À première vue, l'horaire semblait un peu chargé pour une première journée dans les vignobles de la Côte-des-Bars, en Aube-en-Champagne. Chargé, mais faisable tout de même: visite et dégustation à la maison Drappier, à Urville, dîner à la maison Cudel, à Colombé-la-Fosse, puis, en fin d'après-midi, dégustation à la maison Morize au village des Riceys.

C'était bien mal connaître l'hospitalité, la générosité et la chaleur des vignerons de la région. Sans oublier leur propension à ouvrir une bouteille de champagne tous les quarts d'heure!

De retard en retard, de verre de l'amitié en verre de l'amitié (y compris les cinq ou six «derniers verres pour la route»), nous sommes finalement revenus à notre hôtel, à Troyes, vers 23h. Cette longue journée valait toutefois chaque bulle dégustée, chaque conversation avec ces «récoltants-manipulants» passionnés et tellement sympathiques.

Vrai, nous étions annoncés par l'office de tourisme d'Aube-en-Champagne et attendus avec tous les honneurs, mais quiconque met quelques efforts à organiser un petit circuit dans ce coin méconnu de la Champagne fera des rencontres et des découvertes mémorables.

Si vous n'êtes pas familier avec l'élaboration du champagne (une méthode découverte par accident entre les XVe et XVIe siècles, on n'est pas trop sûr), vous devez impérativement organiser une visite avec un producteur en vous assurant qu'il aura le temps de vous donner un cours champagne 101, avec visite de la cave. Vous aimerez encore plus les bulles après votre visite.

La région est fière, aussi, de quelques produits typiques, dont le rosé des Riceys et les vins des coteaux champenois, des productions confidentielles de quelques milliers de bouteilles par année, faites avec un soin maniaque et des méthodes ancestrales.

Un bon point de départ, avant même de partir: visitez www.aube-champagne.com pour le logement, les pistes cyclables, les excursions et les producteurs ouverts au public.

Établir ses quartiers à Troyes permet à la fois de profiter des charmes d'une ville médiévale riche en histoire et de sillonner facilement les vignobles environnants.

Question de s'offrir une immersion dans les vignes et un spectaculaire coup d'oeil sur la région, faites vos provisions pour un pique-nique sur le plateau de Blu, à environ 45 minutes de route (de Troyes, prenez l'autoroute A5 direction est, sortir à Magnant, suivre les indications vers Bruxières-sur-Arce, puis Landreville, jusqu'au plateau de Blu).

Poursuivez votre exploration vers Essoyes, coquet village d'adoption de Pierre-Auguste Renoir (c'est le village natal de sa femme, Aline Charigot, en fait).

Essoyes ouvrira tout prochainement un musée consacré à Renoir. On peut aussi voir la tombe de l'artiste, la maison qui abritait son atelier et les lieux qui lui ont inspiré quelques tableaux.

Il faut aussi absolument jeter un coup d'oeil à l'école communale, installée dans un magnifique château entouré de somptueux jardins. Rien à voir avec nos écoles à toits plats construites en série dans les années 60!

En sillonnant les longues routes de campagne, entre la vigne et les occasionnels champs de tournesols dignes de cartes postales, on a envie de sauter sur une bicyclette pour découvrir la région sur deux roues. C'est tout à fait possible, mais par précaution, gardez alors les bulles pour la fin de la journée parce que les routes et les rues des villages sont très étroites.

En fait, peu importe votre itinéraire dans l'Aube, faites la fête aux champagnes. Il y a plus de 860 producteurs dans cette région et on trouve partout d'excellentes bouteilles à partir de 12 chez le récoltant-manipulant.

Drappier un gros parmi les petits



Contrairement à la partie nord de la région champenoise (Reims et Épernay), où se trouvent les géants comme Moët&Chandon, Mumm, Pommery, Veuve-Clicquot, etc., l'Aube ne compte que de petits producteurs.

Le plus important d'entre eux, Drappier, est un nain à côté des colosses du Nord. Juste pour vous donner une idée, Drappier produit environ 1,5 million de bouteilles par année contre plus de 40 millions chez Moët et Chandon. On n'est pas dans les mêmes ligues. Pas dans le même environnement non plus.

Chez les «majors» de Reims et d'Épernay, vous pouvez réserver une visite de cave, selon différents forfaits, en ligne. Tout est prévu, organisé. La grosse business, quoi.

L'atmosphère est plus détendue chez Drappier, à Urville, et encore davantage chez les microproducteurs (100 000 bouteilles et moins). Ce qui n'a pas empêché Drappier de se faire un chemin jusqu'à l'Élysée comme fournisseur officiel, sur la table du G8, en 2003 à Évian, et en première sur les ailes de Japan Airlines.

Avec un peu de chance, vous croiserez peut-être Drappier père et fils, André, plus de 80 ans et toujours bon pied, bon oeil (avec un sens de l'humour adorable, ce qui ne gâche rien), et son fils Michel, fier représentant de la neuvième génération de Drappier dans ce domaine dont les caves datent du XIIe siècle.

Drappier l'aîné s'y connaît en champagne. Au cours de sa longue carrière, il estime avoir sifflé environ 27 000 bouteilles! Contrôle de qualité oblige. C'est difficile, mais quelqu'un doit se sacrifier.

En cours de dégustation, il explique aussi que l'on doit déboucher le champagne en retenant le bouchon. «Le son doit être comme une flouse de grand-mère», dit-il, l'oeil moqueur.

Une fois dans ce coin de l'Aube, vous devez vous arrêter à l'abbaye de Clairvaux (environ 70 km à l'est de Troyes et tout près d'Urville), institution construite en 1115 par saint Bernard, qui sera plus tard transformé en prison par Napoléon. Une partie est ouverte au public, mais l'autre sert toujours de prison, où on loge, notamment, les terroristes.

Et puis, pourquoi pas, poussez un peu plus loin, vers Colombey-les-Deux-Églises, village d'adoption de Charles de Gaulle, qui y a acheté une maison en 1934 où il est mort en 1970.

«Le général de Gaulle venait acheter du champagne ici. C'est un client que l'on a malheureusement perdu, dit Michel Drappier, pince-sans-rire. Son petit-fils vient à l'occasion chercher du champagne ici. Vous le verriez, vous le reconnaîtriez tout de suite!»

La maison Drappier est un bon point de départ pour découvrir les champagnes de la Côte-des-Bars, mais ne vous privez surtout pas de pousser vos explorations chez de plus petits producteurs. Deux suggestions parmi des centaines: Morize père et fils, aux Riceys (vous pourrez du même coup déguster le rare rosé des Riceys), et Fleury père et fils, à Courteron, des pionniers champenois de la biodynamie.

Photo: Vincent Marissal, La Presse

L'ancien château d'Essoyes, converti en école communale.

Troyes base gourmande dans l'aube

À Troyes même, deux escales gourmandes incontournables: les Halles (le marché public) et le restaurant Aux crieurs de vin.

On va aux Halles pour préparer un pique-nique, pour les fruits frais (ah, ces mirabelles!), pour les fromages, les cochonnailles, les noix et pour Buba, gros bonhomme super sympa qui tient un comptoir de vin.

Vous pouvez même ramasser un bon blanc (ou autre chose, selon vos goûts), choisir un poisson ou des fruits de mer au stand voisin et attendre qu'on vous les serve sans trop de cérémonie mais avec l'amour de la bouffe sur les petites tables avec des nappes en plastique.

Pour le fromage, faites quelques mètres et achetez un chaource, fierté fromagère de la région, qui ne vous coûtera que 2,60!

Aux Crieurs de vin, on va le midi parmi les dîneurs un peu plus pressés (mais pas trop, tout de même, il faut prendre le temps de vivre!) ou, mieux encore, le soir pour un long repas bien arrosé. De champagne, comme il se doit, mais aussi d'une sélection de rouges et de blancs pour accompagner les andouillettes, les fromages, la viande ou les sublimes champignons sauvages de la région.

Remettez votre sort entre les mains des serveurs, ils savent ce qu'ils font, ils connaissent leurs plats et leurs vins.

Pour les inconditionnels du magasinage, sachez que Troyes est la ville des célèbres vêtements Lacoste, que vous trouverez d'ailleurs au magasin d'usine.

Troyes a de quoi ravir, également, les amateurs d'histoire, surtout les Montréalais, puisque c'est la ville natale de Marguerite Bourgeoys et de Paul de Chomedey de Maisonneuve, dont on trouve de nombreuses traces dans les guides touristiques locaux.

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Atout France.

Photo: Vincent Marissal, La Presse

Une partie du vignoble champenois de la Côte des bars, vue du Plateau de Blu.