Sur les bords de la rivière Ohio, en plein coeur des États-Unis, une ville dont on parle peu vit une petite révolution... gastronomique. À mille lieues de New York, de Chicago et de leurs chefs étoilés, Louisville voit pourtant se multiplier depuis quelques années les tables audacieuses, où les produits locaux volent la vedette. Bienvenue dans cette étonnante ville gourmande.

La ville qui compte le plus de restos par tête de pipe en Amérique, la troisième ville gourmande des États-Unis, la sixième destination gastronomique du monde...

À Louisville, on ne manque pas d'arguments pour vous convaincre de passer à table. On peut sans doute débattre de certains d'entre eux, reste qu'il y a largement de quoi se régaler dans cette ville en plein essor gastronomique.

Ancien port fluvial, Louisville apparaît brièvement sur les écrans radars en mai, chaque année, quand se tient le Derby du Kentucky... pour mieux disparaître ensuite. Or, la ville d'à peu près 1 million d'habitants (banlieue comprise) et ses restaurants méritent mieux. Dans un coin de pays où nourriture rime trop souvent avec friture, beaucoup de chefs de Louisville vous parleront d'abord des fermes des alentours dans lesquelles ils s'approvisionnent en légumes et en viandes.

La «révolution» de Louisville prend ses racines dans le quartier d'East Market, à une vingtaine de minutes de marche du centre-ville. Secteur longtemps abandonné au profit de la banlieue, le quartier est petit, à peine quelques pâtés de jolies maisons de briques du XIXe siècle, mais rempli de galeries d'art indépendantes, d'antiquaires, de pâtisseries (Cake Flour vaut le détour) et, surtout, de bonnes tables.

Tout a commencé en 2009, avec l'ouverture du restaurant 732 Social, qui a misé sur une cuisine locale inventive tout de suite adoptée par des hordes de clients. Une dispute entre partenaires a condamné le restaurant l'automne dernier, mais le train était lancé...

Au début du printemps, pousses de coriandre, «bébés roquettes» et bettes à carde et légumes d'hiver se taillent une place de choix dans les restaurants du quartier, comme chez Garage, une ancienne station-service transformée avec humour en bistro, où la salade César est garnie de feuilles de chou kale croquantes. Garage possède aussi son «comptoir à jambons locaux», à déguster un à un ou dans des pizzas. Aussi au menu: beaucoup de bières, dont la locale Kentucky Bourbon Barrel Ale, au goût boisé de whisky.

Toujours dans East Market Street, les restaurants Harvest et Rye - où l'on peut commander un porcelet entier pour un souper en groupe - ont aussi adopté l'approche «de la table à la ferme».

Et l'engouement s'est propagé au centre-ville. Dans un bâtiment centenaire, avec planchers de bois patinés, murs de briques peintes et puits de lumière, le salon de thé Hillbilly propose toujours une belle variété de légumes locaux, avec son excellent porc BBQ sur un nid de roquette ou dans sa sauce «gravy» aux champignons forestiers qui nappe les biscuits servis au petit-déjeuner.

À 10 minutes à pied de là, en passant devant des immeubles en «attente» de revitalisation, Proof on Main, le restaurant du luxueux hôtel 21C, se fait aussi un honneur de cuisiner les produits des environs et de la saison, servis dans une salle pleine de sculptures et d'étranges animaux empaillés (le décor change régulièrement). Ces jours-ci, par exemple, le panais est mis en valeur dans un potage délicat, où baigne une fondante quenelle de crème aux noisettes. Le chef Michael Paley, qui a déjà travaillé pour Daniel Boulud, ne cuisine pas que des aliments locaux, mais choisit toujours des produits issus de cultures durables. Il prépare ainsi un excellent mulet, un poisson à chair blanche, accompagné de moules et de pamplemousse fumé.

Les chefs de Louisville font preuve d'une belle créativité, mais ne boudent pas pour autant la cuisine plus traditionnelle du Kentucky et du Sud. Toujours dans le centre, Doc Crow's, où travaillent les frères Ton anciennement du 732 Social, revisite grillades, fritures - poissons, côtelette, patates douces, gombo! - et porc effiloché avec une virilité toute sudiste.

Cet attachement à la cuisine du Sud est manifeste dans le secteur de Bardstown Road, un peu plus à l'est, que le voyageur gourmand ne voudra pas manquer. Mieux vaut s'y rendre en taxi... pas toujours faciles à héler dans les rues de Louisville. L'idéal, c'est d'appeler pour qu'une voiture vienne vous chercher. Sinon, du centre-ville, il faut prévoir une balade à pied d'au moins 45 minutes dans des rues pas toujours invitantes. Mais une fois sur place, les restaurants, les bars et les terrasses se comptent par dizaines. Chez Jack Fry's, on s'enorgueillit de servir l'un des meilleurs «shrimps and grits» qui soient. Le grits est une crème de maïs - un peu comme une crème de blé -, qui n'a pas beaucoup de goût quand elle est proposée «nature», comme c'est le cas parfois au petit-déjeuner. Préparé avec du bouillon de poulet, des tomates, des poivrons et du parmesan, il rappelle la polenta ou le risotto, et servi assez liquide avec de grosses crevettes du golfe du Mexique, c'est un mets savoureux. N'oubliez pas de vous retourner en sortant de chez Jack Fry's, pour ne pas manquer, parmi les nombreuses photos qui ornent les murs, un nu... étonnant!

Non loin de là, le chef Anthony Lamas, du Seviche, prépare lui aussi un grits délicieux, auquel il ajoute une purée de chipotle (piment fumé), ce qui lui confère de jolis accents latinos.

Enfin, pour goûter la cuisine familiale du Sud comme elle se mange encore dans presque toutes les campagnes, rendez-vous à The Café, dans un décor coloré et lumineux. On trouve notamment au menu un classique de Louisville, le Hot Brown, un sandwich ouvert à la dinde fumée, sur un muffin anglais, avec bacon et tomates, le tout nappé de sauce Mornay. Pas très avant-gardiste, certes, mais chaleureux au possible.

Une preuve de plus qu'une visite dans la plus grande ville du Kentucky a beaucoup plus de saveurs... que du poulet frit!

Café: du pire au meilleur

Du jus de chaussette au café filtre, pesé au gramme près, et infusé lentement devant vous, en passant par les espressos, on trouve à Louisville toutes sortes de cafés. Parmi les meilleures adresses: Quills Coffee, dans Bardstown Road, et Please&Thank You, dans East Market.

À boire

Le Kentucky produit presque tout le bourbon du monde. On le trouve en cuisine, dans des sauces surtout, et bien sûr, on le boit à table ou au bar, souvent dans des cocktails, dont certains sont célèbres. Le Mint Julep, servi à Churchill Downs - où se tient le Derby -, est fait de bourbon, de glace et de menthe. Le cocktail préféré de Don Draper dans Mad Men, baptisé Old Fashioned, se prépare avec du bourbon, deux sortes d'amer, un sucre et une lamelle de zeste d'orange ou de citron. Le plus souvent, on sert simplement le bourbon dans un verre à whisky avec de la glace et un trait de ginger ale, dont la locale Ale8. À Louisville, la meilleure façon de découvrir le bourbon sans prendre sa voiture pour se rendre jusqu'aux distilleries, c'est de suivre la Urban Bourbon Trail, un réseau de bars choisis pour la variété et la qualité des bourbons qu'ils servent. Info: www.bourboncountry.com/urban-bourbon

Adresses

> Garage, 700, E. Market St., 502-749-7100, garageonmarket.com

> Rye, 900, E. Market St., 502-746-6200, ryeonmarket.com

> Harvest, 624, E. Market St., 502-384-9090, www.harvestlouisville.com

> Cake Flour, 909, E. Market St., 502-719-0172, cakeflouronmarket.com

> Hillbilly Tea, 120, 1st Street, 502-587-7350, hillbillytea.com

> Proof on Main, 700, W. Main St., 502-217-6300, proofonmain.com

> Doc Crow's, 127, W. Main St., 502-587-1626, doccrows.com

> Jack Fry's, 1007, Bardstown Rd., 502-452-9244, www.jackfrys.com

> Seviche, 1538, Bardstown Rd., 502-473-8560, www.sevicherestaurant.com

> The Café, 712, Brent St., 502-589-9191, www.thecafetogo.com

> Quills Coffee, 930, Baxter Rd, 502-742-6129, www.quillscoffee.com (deux autres adresses à Louisville)

> Please&Thank You, 800, E. Market St., pleaseandthankyoulouisville.com

Photo Simon Chabot, La Presse

Le coloré plateau de thé chez Hillbilly Tea