En 1839, La Amistad transporte des Africains de la Sierra Leone, enlevés pour être vendus comme esclaves à Cuba. Une tempête permet aux captifs de se défaire d'une partie de leurs geôliers mais le capitaine, survivant, réussit à diriger le bateau vers le Connecticut, où les négriers comptent récupérer leur «marchandise». Or, grâce à un simple épicier, l'affaire est entendue à la Cour suprême des États-Unis, prélude à l'abolition de l'esclavage! La Freedom Trail du Connecticut retrace ce pan fascinant de l'histoire.

Créée par une loi en août 1995 et ouverte officiellement en septembre 1996, la Freedom Trail a des assises dans 60 des 179 villes du Connecticut: on y trouve aussi bien des endroits associés à l'histoire de La Amistad qu'à l'Undeground Rail (le réseau qui permettaient aux esclaves de se réfugier au Canada) ou à une multitude d'événements liés à la lutte à la ségrégation et à l'émancipation de la population afro-américaine.

Ce sont les habitants du Connecticut eux-mêmes qui posent la candidature de leur propriété pour qu'elle figure sur la Freedom Trail. À ce jour, quelques 130 lieux sont répertoriés et accrédités: «Il faut que l'endroit ou ses propriétaires aient joué un rôle important et soutenu dans la marche vers la liberté des Afro-Américains» explique Cora Murray, responsable de la Freedom Trail à l'Office de tourisme du Connecticut. Une des particularités de ce «cheminde la liberté», c'est qu'il réunit Noirs et Blancs, c'est-à-dire les descendants des esclaves et ceux des abolitionnistes blancs, qui s'élevaient contre l'esclavage.

«La lutte pour la liberté dans notre pays est une histoire qui n'est pas racontée dans nos écoles, explique Alfred Marder, qui a présidé à la création de la Freedom Trail. Notre mission, c'est justement d'utiliser le passé pour façonner le présent.»

Tous les sites figurent dans une brochure extrêmement bien faite et distribuée par l'Office de tourisme du Connecticut. Et septembre est le mois de la Freedom Trail, avec de nombreuses activités au programme.

Ces jours-ci, Alfred Marder se bat pour qu'on reconnaisse l'apport de William Lanson, un esclave noir en fuite qui s'est installé à New Haven vers 1807. Au début du XIXe siècle, alors que les Afro-Américains sont toujours considérés comme des biens que les Blancs se lèguent par testament, Lanson mène une vie étonnante de grand entrepreneur prospère.Il parvient ainsi en 1812 à concevoir et construire le prolongement du Long Wharf, dans le port de New Haven, ce qui a donné à la ville un véritable essor commercial. Lanson a également creusé le canal qui traverse New Haven, actuellement transformé en piste cyclable. En butte à de nombreuses campagnes de dénigrement, à des arrestations et des emprisonnements répétés, Lanson est mort sans le sou et abandonné de tous en 1851.

En suivant la Freedom Trail, on découvre plein d'histoires du genre. En voici quelques-unes.

Joseph Cinque

«Il nous a fallu 50 ans pour faire connaître l'histoire de La Amistad, lance Alfred Marder, président du Amistad Committee Inc., et nous passerons sans doute les 50 prochaines années à corriger la façon dont cette histoire a été racontée dans le film de Steven Spielberg, avec des erreurs de fait! Enfin, c'est mieux que le silence et l'oubli» Chose certaine, dans ce film, le personnage de Cinque est sans doute celui qui correspond le plus à l'homme de chair qui l'a inspiré. Joseph Cinque a mené la révolte à bord et est devenu le meneur des Africains captifs sur le bateau: ces simples fermiers enlevés au Sierra Leone pour être vendus comme esclaves. Intelligent, déterminé, courageux, Cinque en impose à tous, et il incarnera peu à peu, pour les Américains, le visage de la justice en butte à l'esclavage et à la ségrégation. C'est d'ailleurs Cinque qui figure sur les monuments élevés un peu partout au Connecticut pour rappeler l'aventure humaine et judiciaire de La Amistad. C'est le seul Africain (et non Afro-Américain) à avoir droit un tel traitement dans tous les États-Unis. Ainsi, il figure sur chacun des trois panneaux du magnifique et émouvant monument sculpté par Ed Hamilton en 1992, devant l'hôtel de ville de New Haven. Deux statues couvertes d'or représentant Cinque enchaîné, puis libre, figurent sur les grilles entourant la Old State House de Hartford. Enfin, au musée de New Haven, l'original du portrait de Cinque, peint par Nathaniel Jocelyn en 1840, accueille les visiteurs.

Les Black Governors

En 1995, des élèves de l'école secondaire Hartford's Fox Middle School ont fait, par hasard, une découverte étonnante: il y a eu au Connecticut, du XVIIe au XIXe siècle, des «black governors». Nommés par leurs pairs, ces «gouverneurs noirs» étaient des esclaves qui représentaient leur communauté. Jusqu'en 1995, personne n'en avait jamais entendu parler! À la fin de leur recherche en 1997, les élèves avaient retrouvé la trace de cinq d'entre eux et, en 2001, la Dre Katherine Harris a été nommée par l'État pour pousser plus loin ces recherches. À ce jour, près d'une trentaine de «gouverneurs noirs» ont été identifiés: «C'était plus un poste de confiance que de pouvoir, confirme la Dr Harris, et ils ont été présents dans l'histoire du Connecticut de 1640 à 1810. Le plus touchant, c'est de penser que ce sont des enfants qui ont amassé des fonds pour qu'un monument soit érigé dans le cimetière de Hartford afin qu'y soient enterrés les restes des black governors, des esclaves et des affranchis noirs qui n'avaient pas eu droit à une sépulture décente jusque-là.» On peut donc aller se recueillir sur la tombe de 300 «Noirs inconnus» mais non oubliés, au cimetière de Hartford.

African American Memorial Ancient Burying Ground, 60, Gold Street, Hartford

Harriet Beecher Stowe

L'impact du roman Uncle's Tom Cabin, écrit par Harriet Beecher Stowe en 1852, a été tel que le président Abraham Lincoln a lancé, en rencontrant la romancière la première fois: «C'est donc cette petite dame qui est responsable de cette grande guerre qu'a été la guerre de Sécession»! En décrivant les conditions inhumaines de l'esclavage aux États-Unis, Harriet Beecher Stowe a en effet bouleversé la vision des Américains de l'époque sur la question, et son roman a été au XIXe siècle le livre le plus vendu, tout de suite après la Bible. Toute la vie de Harriet Beecher Stowe est particulière. On lui doit notamment la rédaction avec sa soeur Catharine, en 1869, du très populaire livre The American Woman's Home, qui servira de guide domestique à des générations de femmes! À Hartford, on peut visiter sa maison, tout à côté de celle de Mark Twain, l'un de ses amis. C'est dans cette maison qu'elle a élevé ses sept enfants, écrit des articles, soigné des malades, jardiné, milité pour un monde plus juste. Et c'est dans cette maison qu'on peut consulter l'un des 26 volumes de signatures qui lui ont été remis en 1853 par les femmes de Grande-Bretagne: 563000 signatures de femmes demandant aux États-Unis d'abolir l'esclavage, c'est impressionnant Encore aujourd'hui, on se réunit dans la maison d'Harriet pour discuter de droits humains. Un exemple? Acheter des t-shirts faits par des enfants sous-payés dans un pays en développement, est-ce que ce n'est pas encourager l'esclavage contemporain?

Harriet Beecher Stowe Center 77 Forest Street, Hartford, harrietbeecherstowe.org

Prudence Crandall

En 1832, une jeune femme blanche, élevée dans la religion quaker, Prudence Crandall, décide d'ouvrir une école à l'intention des jeunes filles dans la région de Canterbury. L'école connaît un grand succès, et les filles de bonne famille se pressent à ses portes. En 1833, Prudence décide d'admettre Sarah Harris, 20 ans, à l'école. Or, Sarah est noire et veut étudier pour devenir institutrice à son tour. La réaction ne se fait pas attendre: les Blancs retirent tous leurs filles de l'école de Prudence. Celle-ci ne se laisse pas abattre: elle décide d'ouvrir ses portes aux jeunes femmes noires et elle multiplie les contacts dans les autres États de la Nouvelle-Angleterre pour attirer de nouvelles élèves. Le Connecticut n'apprécie pas et adopte la «Black Law» de 1834: cette loi interdit à tout Afro-Américain d'entrer au Connecticut pour y étudier! L'école va devoir fermer, mais Prudence décide d'en faire fi. Elle est alors arrêtée, mise en prison et va avoir trois procès. La cause est abandonnée en 1834, mais l'école est alors sauvagement attaquée et saccagée. La «Black Law» ne sera abolie qu'en 1838. Particulièrement odieuse, cette loi oblige également que soit remis à ses propriétaires tout esclave en fuite, alors que le nord des États-Unis était jusque-là une garantie de liberté pour les esclaves du Sud Aujourd'hui, l'école de Prudence Crandall est devenue un musée géré par l'État. On peut le visiter dans le village de Canterbury, en tout temps.

Prudence Crandall Museum 1 S. Canterbury Road, Canterbury, www.ct.gov (sous l'onglet State Museums).

L'histoire de La Amistad

À l'intention des 7 à 77 ans, l'exposition la plus réussie sur La Amistad est à New London, au musée Custom House Maritime Museum. Exposition sensible, forte et accessible, elle répond aux questions de façon imaginative et imagée, et permet de vraiment s'identifier aux humains qui ont vécu l'esclavage. Les captifs africains de La Amistad n'ont jamais mis les pieds à New London (ils avaient été mis en quarantaine), mais c'est là que leur bateau a été amarré au moment de leur capture en 1839 et c'est là que l'épicier et abolitionniste Dwight P. Janes, en montant à bord de La Amistad, a réalisé que ces «esclaves» n'en étaient pas du tout.

Custom House Maritime

Museum, 150 Bank Street, New London, www.nlmaritimesociety.org

Farmington Historical Society

La visite la plus agréable  et en plein air  est celle organisée par la Farmington Historical Society. C'est à Farmington que Joseph Cinque et les autres captifs qui se trouvaient sur La Amistad ont été accueillis à leur libération. Ils y vivront de 1841 à 1842. L'organisme fait des visites guidées dans le (très joli) village sur les traces de ces Africains déracinés. Le village comptait de nombreux adeptes de l'abolition de l'esclavage et les esclaves enfuis pouvaient également y trouver de l'aide, le temps de fuir jusqu'au Canada.

www.farmingtonhistoricalsociety-ct.org

Le cimetière de Grove Street

Le cimetière de Grove Street, à New Haven, est particulièrement beau, et tout de suite à gauche, à l'entrée, on peut y voir la tombe à la mémoire des captifs de La Amistad morts avant d'avoir pu rentrer chez eux: elle a été élevée en 2001 devant le président de la Sierra Leone, qui a reconnu le nom de l'un de ses ancêtres parmi ceux figurant sur la pierre tombale. Le Grove Street Cemetery est le tout premier cimetière officiel des États-Unis, créé en 1797. On peut visiter le cimetière en compagnie d'un guide ou par soi-même.

Grove Street Cemetery

227 Grove Street, New Haven, www.grovestreetcemetery.org

Pour obtenir la brochure du Freedom Trail: voir le site extrêmement bien fait www.ctfreedomtrail.org ou la demander à www.cultureandtourism.org ou 860-256-2800 (sans frais).