Le monde «interdit» et interlope des gangs de Los Angeles, idéalisé et stéréotypé depuis des décennies par le cinéma et la télévision, est désormais à la portée du touriste curieux, grâce à un tour à travers le quartier «chauds» de la ville, organisé par d'anciens gangsters.

L'idée est née dans la tête d'Alfred Lomas, un ancien membre du gang latino Florencia 13, qui a décidé de raccrocher les gants il y a 5 ans. De son passé tumultueux, il n'a gardé que ses impressionnants tatouages, et la certitude que pour «changer les quartiers», il existait d'autres voies que la répression.Bénévole au Dream Center, un centre d'aide religieux qui distribue nourriture et vêtements aux habitants les plus pauvres de Los Angeles, Alfred Lomas a créé ses «LA Gang Tours» avec l'objectif «d'utiliser les profits pour créer un changement durable au sein de la communauté».

C'est ainsi que deux samedi par mois, un petit bus rempli d'une quinzaine de passagers quitte le siège du Dream Center, à Echo Park, pour South Central -- rebaptisé South LA par la municipalité pour tenter de faire oublier sa triste histoire --, «quartier interdit» et berceau du banditisme, où la guerre des gangs aurait fait quelque 15 000 morts, selon M. Lomas.

À bord, quelques touristes étrangers, mais aussi des habitants de Los Angeles curieux de découvrir un quartier de la ville fantasmé mais peu connu. Tous ont signé avant le départ une décharge, en cas de «mort accidentelle».

John et Sahnon Hill sont venus avec un couple d'amis du quartier très huppé de Bel-Air, situé à une demi-heure de voiture de South LA. Le tour est le cadeau d'anniversaire de John. «C'est intéressant d'avoir une idée de ce qui peut se passer dans des quartiers si proches des nôtres», dit-il. «Il y a tellement de stéréotypes quand on parle des gangs».

Nicolas Bello, un Canadien venu de Toronto, a trouvé le tour sur Google et a décidé de venir car cela avait l'air «différent et unique. Des gangs, je ne connais que ce que j'ai vu dans les films et à la télé», observe-t-il.

Des voix se sont élevées pour dénoncer une exploitation sensationnaliste du phénomène des gangs, mais Alfred Lomas leur oppose sa légitimité d'homme de terrain: si le bus peut parcourir sans encombres les rues de South LA, c'est parce qu'il fut l'un des artisans d'un cessez-le-feu dans le quartier.

En plus, «les photos sont interdites depuis le bus», ajoute-t-il. La règle s'applique sans peine car il y a peu à voir, à part des monuments de la ville liés aux gangs (prison, commissariat, tribunal...) et quelques lieux d'émeutes ou de règlements de comptes célèbres -- un carrefour ou un terrain vague.

Le seul aspect visuel du circuit est le graffiti, signature urbaine des gangs, abordé à travers un arrêt au Graff Lab, une association où les jeunes de South LA peuvent venir peindre sans craindre d'être arrêtés par la police.

«C'est interdit de peindre dans la rue, et si les gars sont arrêtés, ils entrent en prison comme taggers et ressortent comme gangsters. Il faut leur donner une alternative», observe Ricardo Guerrero, directeur du Graff Lab.

Mais de l'avis général, tout le prix du tour réside dans «les histoires personnelles des anciens gangsters», comme le remarque M. Bello. Car Alfred Lomas embarque avec lui d'autres «repentis», qui racontent sans détours leur passé émaillé de violence, de drogue et de passages en prison.

L'un d'entre eux, Melvin Johnson, un ancien membre du célèbre gang afro-américain des Crips, considère que le tour «est très important, car il permet de faire prendre conscience aux gens de ce que sont vraiment les gangs», loin des clichés et d'Hollywood.