Devant : une vallée remplie de collines et de vallons, de fermes et d'églises, de routes et de rivières. À l'est : la route Skyline Drive et ses montagnes capables d'anéantir les mollets des cyclistes professionnels. À l'ouest : les forêts du George Washington National Forest. Voilà le terrain de jeu. Ne reste qu'à s'amuser.

«Prenez votre gaz égal !» lance Rachel, notre petite guide à l'énergie inépuisable. Une dizaine de cyclistes se regarde, un peu perplexe. Prendre notre quoi ?Pas bien difficile, pourtant, de comprendre la signification de l'avertissement. La montée qui se dresse devant nous hissera au sommet du Skyline Drive, une légendaire route panoramique de la Virginie. Et avec 16 km de lacets qui grimpent sans relâche, disons qu'on n'a pas exactement affaire à la cote de la rue Berri, à Montréal. En bref : si on veut espérer voir le haut de la montée, mieux vaut l'attaquer doucement.

C'est exactement ce à quoi nous nous attelons. Chacun va à son rythme, si bien qu'on se retrouve bientôt complètement seul, entouré d'une nature magnifique. C'est le moment d'entrer dans sa bulle : seul le son de sa propre respiration et celui du ruisseau qui, à côté, dévale dans l'autre sens autrement plus rapidement, viennent briser le silence.

À force de sueur et de patience, nous nous retrouverons tous au sommet, pas peu fiers d'avoir vaincu les lois de la gravité. La première récompense est dans le panorama : les montagnes s'étendent à perte de vue, et regarder les grands oiseaux de proie qui tournoient au-dessus donne carrément le vertige.

L'autre viendra quelques dizaines de kilomètres plus loin. La route du Skyline Drive surfe sur les crêtes des montagnes, et il nous faut monter et descendre au gré des sommets. Mais après le lunch, c'est l'euphorie de la descente. Près de deux heures de plaisir pur à dévaler les pentes à toute allure avec les yeux qui pleurent à cause de la vitesse - à hurler de joie, littéralement.

Cette journée sur la route du Skyline aurai été à l'image de ce voyage de six jours de vélo au coeur de la vallée de la Shenandoah, en Virginie : plus grande que nature et pleine d'émerveillement.

Au fil des ans, l'endroit est devenu la coqueluche des cyclistes, notamment québécois, qui s'y précipitent dès le printemps pour se faire des jambes en début de saison. Si les clubs cyclistes et les pros ont fait de la Virginie leur terrain de jeu, pas besoin de viser le maillot jaune du Tour de France pour s'y amuser. En prenant les choses à son rythme, le cycliste novice sera même impressionné de ce qu'il peut y accomplir.

Cela étant dit, si vous êtes du genre à pester au pied de chaque côte, vous risquez de trouver le temps long dans la Shenandoah. Et partez bien équipé : si vous voulez savourer vos descentes en toute quiétude, de bons freins et un vélo en bon état sont essentiels.

De son côté, La Presse s'est jointe à un voyage de groupe pour découvrir l'endroit. Nous avons quitté la grisaille montréalaise au début du mois d'avril pour un petit plongeon prématuré au coeur de l'été.

Des arbres en fleurs, des pelouses vertes et du soleil : après une journée de route, difficile de résister à la magie que nous découvrons le lendemain matin. Il faut dire que nous avons été gâtés : le beau temps qui a marqué le congé de Pâques au Québec a généré des températures exceptionnelles d'une trentaine de degrés en Virginie... et s'est prolongé toute la semaine.

Maîtres de la route

Les premiers jours de vélo ont été consacrés à découvrir le fond de la vallée. Une «vallée vallonneuse», comme le dit notre guide Denis, qui sert des côtes et des courbes en séries aux cyclistes. Ici, oubliez les longs kilomètres en ligne droite dans les champs de patates : le relief ne laisse aucune place à la monotonie.

L'un des secrets du plaisir de rouler dans la Shenandoah, c'est le grand nombre de routes secondaires qui la sillonnent par rapport à la densité de population. Conséquence : les voitures sont rares. Et les automobilistes qu'on finit par croiser sont d'une courtoisie extrême, au point où il nous est souvent arrivé de se demander depuis combien de temps cette camionnette attendait patiemment derrière alors que nous bloquions complètement le chemin.

Côté paysage, on voit en vrac des champs remplis de vaches et de chevaux, des jolis villages et des petits cimetières, des ruisseaux et des rivières qui gargouillent au soleil. Ici, la maison typique est entourée d'une galerie et est marquée d'un grand drapeau américain à l'entrée. Elle est souvent joyeusement négligée, perchée au sommet d'une colline et entourée de grands arbres en fleurs.

Sur la route, des cardinaux et des geais bleus passent devant comme des flèches bleues et écarlates. On aperçoit des cerfs de Virginie (ils sont chez eux, après tout), de grosses marmottes qui détalent en nous voyant arriver et même une drôle de bestiole que nous avons identifié, après moult débats, comme un opossum. Le midi, c'est l'heure de s'arrêter dans une cour d'église, de se rassasier à l'ombre d'un grand arbre et, pourquoi pas, de piquer un petit roupillon dans l'herbe avant de repartir.

Après le vélo

Le tout dernier jour, c'est dans la George Washington National Forest que nous avons fini de tuer nos jambes fatiguées. Parmi les moments forts, notons une montée de quatre kilomètres particulièrement brutale, une section de route de toute beauté qui longe les méandres de la rivière Shenandoah et un lunch sur une vraie plage au cours duquel certains n'ont pu résister à piquer une tête dans l'eau froide.

En fin d'après-midi, nous regagnons notre base, un motel de la ville de Lurray où nous nous sommes installés. C'est l'heure de la triple récompense du cycliste fatigué : la douche, la sieste, puis la bière.

Nos guides commencent à cuisiner sur des poêles au propane directement dans la cour du motel pendant que nous nous racontons les points forts de la journée. Suivra un délicieux souper, préparé par un traiteur montréalais et transporté sur place, que nous dégustons sur des tables de pique-nique. Le tout est agrémenté de quelques bouteilles et rappelle les célèbres banquets des bandes dessinées d'Astérix. Les Américains qui nous voient ainsi manger, rire et boire en plein air doivent d'ailleurs croire avoir affaire à une bande de joyeux gitans. Et ils n'ont peut-être pas complètement tort.

Les frais de ce voyage ont été payés par Détour Nature.

Photo: Martin CHamberland, La Presse

Une halte dans la campagne question de faire le point sur l'itinéraire.

Le voyage en chiffres

6 journées de vélo

430 km de bitume parcourus

0 nuage dans le ciel

64,4 km/h : la vitesse maximale enregistrée au compteur (mais je suis peureux et je freine dans les côtes : certains trompe-la-mort ont dépassé les 73 km/h).

8 : le nombre de fois où je me suis dit que le guide Denis et moi, nous n'avions pas la même définition de «faux plat ascendant». Une montée de 12 %, c'est une côte, pas un faux-plat.

S'y rendre

La vallée de la Shenandoah est située dans l'ouest de l'État de la Virginie. Il faut compter une douzaine d'heures de voiture pour l'atteindre. Pour ceux qui préféreraient l'avion, la meilleure option est probablement de voler vers la capitale américaine, Washington, située à environ 125 km à l'est.

Voyages organisés

Plusieurs options s'offrent aux cyclistes qui veulent découvrir la vallée. On peut évidemment organiser son voyage soi-même. Choisissez vous une ville de la vallée, louez-y un motel ou encore une maison et rayonnez de là. Lors de son voyage, La Presse était établie à Lurray, une ville qui compte un vieux quartier assez joli et tout le nécessaire (restos, épiceries, boutique de vélo) pour répondre aux besoins des sportifs. Plusieurs cyclistes choisissent aussi de demeurer à Massanutten, un centre de villégiature qui compte une grande offre d'hébergement.

Le voyage organisé compte de son côté plusieurs avantages. Le principal est que le cycliste n'a qu'une chose à penser : pédaler. La bouffe, le transport et les itinéraires de randonnée sont préparés pour lui. La formule permet aussi plus de flexibilité dans les trajets. Dans notre cas, l'autobus nous déposait certains matins à un point de départ plus éloigné du motel et nous attendait à un point d'arrivée, ce qui permet d'explorer plus de terrain. Et pour les journées qui débutaient par de longues montées, les cyclistes pouvaient parfois choisir de faire une partie du défi... en autobus !

Le voyage organisé vous assure aussi de pouvoir compter sur des guides qui connaissent l'endroit et sur des compagnons de voyage mordus de vélo. Autre avantage que nous avons beaucoup apprécié : grâce à la magie de la bouffe préparée d'avance, il est possible de rester en motel sans être pris pour manger toujours au restaurant, dont l'offre est souvent limitée dans les petites villes américaines. Une semaine de Pizza Hut, ça vous bousille les bienfaits d'un entraînement.

Des groupes comme Détour Nature, Vélo Québec ou Voyages Gendron organisent des excursions en Virginie, la plupart du temps au printemps, quand la chaleur de l'été n'est pas encore installée. Détour Nature vient toutefois d'annoncer un voyage à la mi-septembre. Groupe Centrifuge organise aussi des camps d'entraînement qui s'étendent de la fin mars au début mai.

Photo: Martin Chamberland, La Presse

L'un des avantages du voyage organisé, c'est de pouvoir rouler en peloton avec des mordus de vélo.