«Mais bon Dieu, quand est-ce qu'il finit, ce satané tournant?» C'est la question que je m'étais posée, plus d'une fois, en roulant après le coucher du soleil vers mon hôtel sur une route sinueuse de la côte du Pacifique, à la limite des comtés de Sonoma et de Mendocino, au nord de San Francisco. Même quand la limite affichée s'abaisse jusqu'à 25 milles (40 kilomètres) à l'heure, pas de danger d'excès de vitesse sur la US 1, la route sinueuse qui se faufile le long des parois rocheuses, offrant des vues magnifiques le jour - et quelques sueurs froides la nuit.

L'hôtel, à lui seul, valait bien les sueurs froides. Perché au nord du petit village vacancier de Gualala, Saint Orres est un édifice tout en bois aux formes compliquées, surmontées de clochetons rappelant les églises russes orthodoxes. Complété par une série de petits chalets à l'architecture tout aussi éclectique, cet étonnant hôtel offre la parfaite tranquillité, le bruit des vagues étant bien le seul à se faire entendre pendant la nuit. Au petit matin comme au coucher du soleil, la vue sur le Pacifique est impressionnante et apaisante à souhait. Un refuge excentrique pourtant parfaitement à sa place dans ce bout de pays qui semble obéir à ses propres règles.

Un air d'ailleurs

Loin des autoroutes à huit voies et de l'urbanité dense de San Francisco, la région qui se déploie près de la côte, au nord du Golden Gate, montre le côté sauvage et rebelle de la Californie. Une côte rocailleuse où l'océan se brise en lames spectaculaires et où des arbres s'accrochent aux falaises battues par le vent. Un arrière-pays où se découpent des panoramas surprenants à presque tous les détours, et où de petites villes gardent parfois un air de Far West ou de ruée vers l'or. Un paradis de l'agriculture bio et de la viticulture audacieuse, et un refuge pour quelques coins de forêts géantes et millénaires. Bref, un endroit pas comme les autres, avec un esprit bien distinct.

En plus d'inviter les conducteurs à la concentration, les tournants serrés des routes côtières et intérieures deviennent une belle façon de dire à quel point cette région de mer et de montagnes offre des occasions de sortir des sentiers battus. Si on n'est pas pressé, si on est prêt à accepter l'inattendu, on aura quantité de souvenirs uniques et inoubliables - et des dizaines de photos pour en rendre compte. À condition, bien sûr, de trouver un endroit où s'arrêter - ou de confier la caméra à son passager.

Après tout, ceux qui se sont installés là-bas l'ont fait par choix, par volonté d'aller voir ailleurs s'ils y étaient. Les vallées encaissées qui zigzaguent vers la mer sont loin d'être les endroits les plus accessibles de Californie. Qu'on y ait recherché la tranquillité, le rapport à la nature ou la fraîcheur relative du climat, on n'y est certainement pas allé pour la facilité.

C'est d'ailleurs à la recherche de l'inhabituel, voire de l'étrange, qu'Alfred Hitchcock s'était dirigé vers la côte, plus précisément à Bodega Bay, pour tourner un de ses chefs-d'oeuvre, Les oiseaux. Le bureau du tourisme vante encore ce passage historique, près d'un demi-siècle après le tournage.

Mais c'est peut-être pour d'autres oiseaux qu'on s'arrêtera à Bodega Bay, ces années-ci, puisque l'endroit accueille un refuge ornithologique où des sentiers bien aménagés permettent d'observer la faune aérienne tout en profitant bien de l'air de la mer. La flore accrochée au relief rocailleux est également assez impressionnante.

On peut aussi profiter de l'océan, en choisissant bien son coin de plage. Dans certains cas, même s'il y a accès, les vagues et les courants peuvent être forts et surprenants. Mieux vaut garder la baignade pour les endroits recommandés, comme la plage plus familiale de Salmon Creek ou encore Portuguese Beach, toutes deux situées au nord de Bodega Bay. Soyez toutefois prévenus que la température de l'eau a plus à voir avec le Maine qu'avec la Floride. De quoi bien se rafraîchir quand le mercure grimpe vers les 40 degrés.

Dans la vallée

Si la côte offre un charme évident, l'intérieur des terres n'est pas à dédaigner pour autant. Les rivières qui serpentent entre les coteaux pentus et les villages qui se sont installés sur leurs rives sont également agréables à découvrir et offrent une atmosphère détendue et parfois même un brin bohème.

Justement, c'est au coin de la Bohemian Highway et de la Bodega Highway, qui relie la charmante petite ville de Sebastopol à Bodega Bay, que l'on découvre avec bonheur une des meilleures boulangeries de Californie, Wild Flour Bread, dont la devise pourrait être «Pain et amour». Les brioches, pains au fromage et autres bouchées petites et grandes vous donneront l'énergie pour grimper les collines avoisinantes d'un trait et vous mettront le sourire aux lèvres à coup sûr. Un petit bijou au milieu de nulle part, qui sert aussi de savoureux espressos.

Un peu plus au nord, la bourgade de Guerneville offre aussi plusieurs cafés, restos et boutiques où on déambulera sans stress, avant ou après un détour par Armstrong Redwoods, une magnifique forêt d'arbres géants qui vaut amplement le détour (voir l'autre texte).

Des vignobles au tournant

Si, en sortant d'Armstrong Redwoods, vous prenez la première rue à gauche, vous vous retrouverez sur Sweetwater Springs Road. Vous y trouverez une belle occasion de voir à quel point ce coin de pays est une vraie terre de montagnes. Grimpant une crête montagneuse qui domine la forêt de séquoias, cette petite route à peine pavée n'a rien à envier aux lacets vertigineux de certaines routes de Suisse ou de Savoie. Et comme en Suisse, trouver un endroit où s'arrêter - ou même un endroit où croiser une voiture arrivant en sens inverse - n'est pas toujours évident.

Après cette route épatante et un brin éprouvante, vous pourrez trouver votre récompense en tournant, au bout de Sweetwater, sur West Side Highway, qui devient bientôt Dry Creek Highway. Car sur ces routes se trouvent certains des vignobles les plus indépendants et les plus originaux de l'État, bien au-delà du cabernet sauvignon et du chardonnay qui ont assuré le succès mondial de l'industrie.

Dans la Dry Creek Valley, en particulier, des producteurs admirables et férocement attachés à une viticulture saine et bio, comme Quivira, Michel Schlumberger, Truett-Hurst, Preston ou Ridge, donnent ses lettres de noblesse au cépage zinfandel et explorent avec brio les cépages du Rhône ou d'Italie. Pas de style uniforme, dans ces coteaux situés à l'ouest de Healdsburg, une autre bourgade accueillante et détendue. Voilà des producteurs qui défendent leur indépendance et cherchent avec passion l'expression unique de leur bout de terroir. Le plus difficile, en passant par là, reste de choisir où s'arrêter. Et de déguster avec modération : la route, rappelons-le, ne manque pas de tournants.