Le sentier de la Côte-Est suit pratiquement toute la côte de la péninsule d'Avalon, à Terre-Neuve en reliant 32 communautés. Il faudrait plusieurs semaines pour parcourir ses 265km. Mais une randonnée de quatre jours de Bay Bulls à Saint-Jean de Terre-Neuve permet de goûter à ses attraits et de comprendre pourquoi on surnomme la province «The Rock», le Rocher.

JOUR 1: Un phare accueillant

De Bay Bulls au site de camping Bald Head

DISTANCE : 11,2 km

DURÉE : Environ 4h30 min avec les pauses

Espérons qu'il ne s'agisse pas d'un signe. Le début du sentier à Bay Bulls se situe entre deux petits cimetières. Rien de bien encourageant.

En outre, il pleut un peu, une petite pluie de fin du printemps qui s'annonce persistante. Il faut être de nature optimiste pour entamer une randonnée de quatre jours de Bay Bulls à Fort Amherst, à Saint John's, Terre-Neuve, 56 km plus au nord. Mais en cette saison, il est difficile d'avoir quatre jours de beau temps d'affilée.

Le sentier de la Côte-Est (East Coast Trail) est beaucoup moins connu que son grand frère de la côte Ouest, le West Coast Trail, en Colombie-Britannique. Entièrement entretenu par des bénévoles, bien balisé, le sentier de la Côte-Est relie Cappahayden, au sud, au cap Saint-Francis, à la pointe nord de la péninsule d'Avalon.

Il n'est toutefois pas facile de parcourir l'ensemble du sentier d'une traite parce que les sites de camping ne sont pas nombreux. La plupart des randonneurs effectuent de petites sections à la fois, essentiellement dans le cadre de randonnées d'une journée. Il y a un grand nombre de gîtes et de chalets à louer sur la côte est de la péninsule d'Avalon, ce qui permet de dormir tous les soirs dans un lit douillet.

Au début du sentier à Bay Bulls, avec un lourd sac sur le dos, sous la pluie, cette idée fait rêver. Courage !

Le sentier s'engage dans la forêt tout en suivant la côte. Rapidement, l'aspect spectaculaire de cette côte fait oublier la pluie : la mer se fracasse au pied de falaises dans une explosion d'éclaboussures ou s'engouffre violemment dans des ravins. Avec ce temps, il n'y a personne sur le sentier. On a l'impression d'être très loin de la civilisation.

Un peu de « civilisation » serait cependant la bienvenue pour le goûter, histoire de ne pas manger sous la pluie. C'est alors que le phare de Bull Head apparaît. Par bonheur, la porte à la base de la structure d'acier est ouverte, ce qui permet d'entrer à l'intérieur, de manger au sec et même de monter tout en haut du phare pour avoir une bonne vue sur la côte.

Le départ est un peu difficile. Le sentier traverse bientôt l'ancien village de Freshwater. Un incendie en 1892 lui a porté un dur coup et les habitants ont fini par partir au cours des années 20. Il ne reste pratiquement rien, qu'un muret et un trottoir de pierre. Pas le moindre fantôme sous la pluie, qui finit par se transformer en bruine.

Parfois, c'est en regardant derrière soi qu'on voit les plus belles choses : cette fois-ci, c'est le ruisseau Freshwater qui descend le long de la falaise en une belle diagonale vers la mer. Ce qui s'en vient est également impressionnant : d'immenses falaises et des aiguilles rocheuses qui s'élèvent de la mer. À chaque nouveau point de vue, c'est une lutte renouvelée pour dégager la caméra de son sac de plastique et prendre des photos.

La fatigue commence à se faire sentir. Où se trouve le camp ? Tout à coup, un gros lièvre traverse le sentier en bondissant, suivi d'un deuxième.

Le site de camping de Little Bald Head est à deux pas. Il y a des plateformes de bois, ce qui permet de monter un petit camp confortable sur un terrain relativement sec. Le climat de Terre-Neuve n'est pas toujours facile, mais bien équipé, il est possible d'y faire face sans aboutir prématurément dans un des petits cimetières de Bay Bulls.

À SAVOIR

• Prendre un taxi entre Saint John's et le début du sentier, à Bay Bulls, coûte près de 75 $ pour un trajet d'environ 45 minutes.

• On peut commander les cartes du sentier de la Côte-Est sur le site.

JOUR 2: Deux orignaux et un geyserDu camping Bald Head au ruisseau Freshwater

DISTANCE : 16 km

DURÉE : environ 7 heures avec les pauses

Ici, on l'appelle « The Spout ». C'est un jet d'eau qui s'élance dans le ciel chaque fois qu'une vague s'engouffre sous une plateforme rocheuse et ressort violemment par un interstice dans le roc.

Le bruit est particulièrement impressionnant : lorsque le jet surgit, on entend un grand « pschitt », comme lorsqu'on ouvre un canette de boisson gazeuse après l'avoir secouée. Lorsque l'eau retombe, c'est encore plus saisissant : on entend un incroyable bruit de succion, comme un gigantesque aspirateur qui fait disparaître toute l'eau en un clin d'oeil.

Cette curiosité locale permet de bien commencer la journée, alors que le soleil commence enfin à faire son apparition.

La lumière est très belle dans le boisé encore humide où serpente le sentier. De toute évidence, il n'y a pas que les humains qui l'affectionnent particulièrement : le sol est couvert d'excréments d'orignaux. Ils ne devraient pas être bien loin... et oups, en voilà un, un jeune ou une petite femelle, qui s'éloigne à grands pas dans le sentier, avec élégance.

Six kilomètres plus loin, un autre orignal, qui pensait avoir la paix auprès d'un étang de castors, se fait déranger. Peut-être s'agit-il du même animal ? Qui sait. Si c'est le cas, il aurait été judicieux de lui fixer notre gros sac à dos sur le dos et de le laisser porter nos affaires pendant un petit bout...

L'étang de castor est situé au beau milieu du site de camping Miner Point, un très bel endroit où casser la croûte. C'est le site de la plus ancienne mine de Terre-Neuve, établie en 1775 pour récupérer du cuivre. On a toutefois rapidement épuisé la mine et les mineurs ont tout rapporté, ne laissant derrière eux que de grosses piles de cailloux.

Peu après, le sentier émerge de la forêt pour parcourir un terrain dégagé, un peu marécageux, qui offre des vues permanentes sur l'océan. Il y a bien longtemps, des glaciers ont éparpillé ici et là de grands blocs erratiques. Le vent et les éléments les ont sculptés pour leur donner des formes inattendues.

La journée a été longue, il est temps de se trouver un petit coin sympathique pour monter la tente. La perle rare se trouve tout près du ruisseau Freshwater, un nom qui signifie « eau douce ».

Mais qu'est-ce qui apparaît au loin, au large de la pointe Lady ? Serait-ce un iceberg ? Demain, il faudra aller voir cela de plus près.

BON À SAVOIR

Au lieu de camper au ruisseau Freshwater, on peut se dorloter et louer une chambre au Caplin Cottage à Maddox Cove ou au Shore Lark by the Sea à Petty Harbour.

PHOTO MARIE TISON

East Coast Trail, Terre-Neuve. Jour 2. 

JOUR 3: Des icebergs et des canons Du ruisseau Freshwater à Deadman's Bay

DISTANCE : 21,5 km

DURÉE : environ 8 heures avec les pauses

Avant d'aller enquêter sur les icebergs, il faut d'abord traverser les villages de Petty Harbour et de Maddox Cove, maintenant fusionnés. C'est une tâche très plaisante : Petty Harbour est un joli village de pêcheurs, avec bateaux colorés, casiers à homards sur les quais et quelques vieux hangars.

Après avoir passé deux jours sans voir âmes qui vivent (les orignaux et les lièvres ont-ils une âme ?), ça fait du bien de rencontrer des gens sympathiques qui vous saluent chaleureusement.

Le sentier reprend à l'extrémité du village de Maddox Cove et retourne dans la forêt avant d'émerger dans un terrain dégagé. C'est en montant vers la pointe Lady que se révèle tout à coup un fabuleux iceberg. Sa blancheur éclatante tranche sur le bleu profond de l'eau et le bleu clair d'un ciel sans nuage.

C'est l'avantage de faire le sentier de la Côte-Est au printemps. Il ne fait pas toujours beau, mais c'est la saison des icebergs, qui descendent de l'Arctique avec le courant du Labrador.

Quelques randonneurs profitent du temps superbe pour aller saluer le géant de glace et le prendre en photo. Les icebergs sont particulièrement photogéniques et ne bougent pas très rapidement, ce qui donne le temps de chercher les meilleurs angles.

Le sentier suit une crête pour finalement aboutir au cap Spear, le point le plus à l'est de toute l'Amérique du Nord et un lieu historique national du Canada (le nom a évolué à partir du terme français cap d'Espoir). On y trouve un phare patrimonial de 1836 et un phare plus moderne remontant à 1955.

On découvre aussi au cap Spear les restes d'une batterie et de bunkers construits à l'occasion de la Seconde Guerre mondiale. Les deux immenses canons de cette batterie devaient servir à protéger l'entrée de la baie de Saint-Jean contre les navires allemands. Heureusement, il n'a pas été nécessaire de les utiliser. Quatre kilomètres plus loin, tout en haut du promontoire de Blackhead, se trouve un autre vestige de la Seconde Guerre mondiale, une batterie factice. Plutôt que d'installer de vrais canons, dispendieux, on a bricolé de faux canons à l'aide de barils de pétrole afin de faire croire à d'éventuels agresseurs que la côte était bien défendue. Les barils ont disparu, mais les structures de pierre sont toujours en place.

Tout en bas, on aperçoit de nouveaux icebergs aux formes diverses, pas mal plus pacifiques.

Il faut cheminer beaucoup plus loin pour dénicher un joli coin pour camper. Il se trouve finalement tout au fond de la baie Deadmans. Le nom n'est pas très rigolo (« l'homme mort »), mais le site est beaucoup plus guilleret, avec vue sur un iceberg et la présence d'un petit écureuil roux qui criaille. Hum. Il va falloir mettre la nourriture à l'abri cette nuit. Il n'y a pas d'ours sur la péninsule d'Avalon, il n'y a pas de ratons laveurs à Terre-Neuve, mais il y a des renards, et ce petit écureuil pourtant si mignon, qui aimeraient bien mettre la patte sur les provisions des campeurs imprudents.

PHOTO MARIE TISON

East Coast Trail, Terre-Neuve. Jour 3. 

JOUR 4: Un naufrage et un barachois De Deadman's Bay à Fort Amherst

DISTANCE : 8,8 km

DURÉE : environ 3 heures avec les pauses

Quel vacarme ! Tout au long de cette section du sentier de la Côte-Est, des milliers d'oiseaux de mer nidifient sur les moindres creux et recoins des falaises et des aiguilles de roc qui émergent de la mer. Nul besoin de réveil-matin ici.

Et tout au long de la côte est de Terre-Neuve, des centaines de navires ont fait naufrage, sombrant en laissant peu de traces de leur passage. Ce n'est pas le cas du Vasco d'Orey, qui a terminé ses jours en 1977 au fond de la baie Freshwater. Il reste de gros morceaux de métal rouillé, disséminé le long du barachois.

À l'origine, le mot barachois, d'origine basque, désignait une petite baie. Son sens a évolué et le mot désigne ici une sorte de digue naturelle, formée de pierres rondes de la taille de melons d'eau, qui sépare la baie salée de Freshwater et un étang d'eau douce.

Des tempêtes ont emporté des sections du barachois à quelques reprises, mais les vagues ont réparé les dégâts et ont reconstitué la digue. Les bénévoles de l'East Coast Trail Association ont placé près de 600 grosses pierres plates sur le barachois, un travail titanesque qui facilite la traversée de la digue.

À son extrémité ouest se trouvait autrefois un village de pêcheurs, Freshwater Bay, maintenant abandonné. On peut deviner les anciennes fondations. Les endroits plats qui accueillaient des maisons constituent maintenant de superbes sites pour planter sa tente.

Entre 1946 et 1975, plus de 300 petits villages ont été abandonnés à Terre-Neuve et plus de 28 000 habitants ont été relogés dans de plus grandes communautés. Le mouvement, initié de façon naturelle dans les années 40, a pris de l'ampleur au milieu des années 50 lorsque le gouvernement du premier ministre Joey Smallwood a offert une aide financière aux familles désireuses de se reloger. Le gouvernement voulait faire en sorte que tous les habitants de la province aient accès aux services gouvernementaux, comme l'éducation, les soins de santé, le téléphone et l'électricité.

Dans bien des cas, les gens sont partis avec leur maison, la plaçant sur une barge, un jour de mer calme, pour la déménager dans une plus grande communauté.

Les fondations disparaissent peu à peu sous la végétation, mais ce grand mouvement de relogement continue à résonner dans la conscience collective.

Après s'être attardé un peu sur le bord de la mer, le sentier remonte sur les plateaux, où se trouvent de jolis étangs et des orchidées (le sabot de la vierge). Ces fleurs délicates font oublier le temps qui se chagrine. Dans cette grisaille, le blanc des icebergs et le turquoise de l'eau au-dessus des parties immergées de ces sculptures de glace ressortent de façon éclatante.

Cette section du sentier de la Côte-Est se termine après une descente difficile à Fort Amherst, à l'entrée de la ville de Saint John's. On y trouve un phare et les restes d'une batterie de la Seconde Guerre mondiale. Le site était idéal tout à l'entrée du havre de Saint-Jean. Tellement idéal que les Anglais y avaient installé une batterie en 1777 pour arrêter les Hollandais et les Français. Maintenant, plus rien n'arrête les randonneurs qui veulent profiter d'un repos bien mérité à Saint John's.

BON À SAVOIR

Quand y aller : 

• Il peut pleuvoir beaucoup au printemps, mais on a la possibilité de voir des icebergs.

• L'été, on peut observer des baleines.

• L'automne, la végétation prend des couleurs et les insectes ont disparus.

PHOTO MARIE TISON

East Coast Trail, Terre-Neuve. Jour 4.