Sous un ciel bleu étincelant défilent lacs couverts de neige, champs de petites épinettes rabougries, tas de roches... En débarquant de l'avion, partie trois heures plus tôt de Winnipeg, j'ai un choc. Je suis accueillie par un froid et un vent glacials. J'ai quitté un début de printemps au Québec pour retrouver une température de - 30 °C.

Me voici à Churchill, au nord-est du Manitoba, un petit bled perdu au milieu de nulle part. Aucune route terrestre ne relie Churchill au reste du monde. Il faut y venir en avion ou en train, qui termine son trajet ici. Et les 1000 kilomètres qui séparent Winnipeg de Churchill exigent 45 heures en train. Il faut en avoir drôlement envie pour venir se terrer à Churchill, petite ville située à l'embouchure du fleuve Churchill, sur les bords de la baie d'Hudson, aux portes de l'Arctique.

D'abord parce qu'il fait froid. En hiver, les températures de - 40 °C sont fréquentes. Et le paysage de Churchill est enneigé 10 mois par année. Et aussi parce que l'endroit ne paie pas de mine : cette ville de 800 habitants, dont la moitié sont des personnes des Premières Nations, ressemble à un village de pionniers : il n'y a pas d'arbre, pas de rue asphaltée, pas d'hôtel luxueux... On ne rencontre pas d'auto, sauf la voiture de police, mais seulement des camions, des VTT, des 4 X 4, des motoneiges et des vieux gabors... Ici, tout le monde est équipé jusqu'aux oreilles pour affronter les éléments de la nature. Même les femmes sont vêtues comme des explorateurs de l'Arctique. Et avec ce grand désert de vie sauvage qui entoure la ville, on se sent loin. Le cellulaire n'entre pas à Churchill, mais ses habitants sont fiers de nous dire qu'ils ont Internet haute vitesse.

À la sortie de l'avion, notre guide, Rhonda, nous accueille dans un petit autobus scolaire aux banquettes de cuir gelées pour nous proposer un tour de ville. «J'adore le Nord», nous confie celle qui ne sort jamais de Churchill. «Toute jeune, je savais que je voulais y vivre, car j'aime aller aux endroits où personne n'est allé.»

Capitale des ours polaires

L'ours polaire est devenu l'icône de la ville. De gros ours en plâtre sont installés à la porte des hôtels, d'autres sont peints sur la devanture des restaurants, des miniatures sont vendues dans les boutiques de souvenirs... et ici et là des affiches «Polar Bear Alert» accompagnées d'un numéro de téléphone d'urgence nous rappellent que nous sommes sur le territoire de l'ours polaire. C'est que Churchill est l'un des seuls endroits habités où les ours peuvent être observés à l'état sauvage. La ville est connue dans le monde entier comme étant la capitale de l'ours polaire. En octobre, les gros mammifères tout blancs commencent à se regrouper autour de la baie d'Hudson, à l'est de Churchill; ils attendent que la glace se forme sur la baie pour pouvoir chasser le phoque sur la banquise qui leur sert de plateforme. En octobre et en novembre, 15 000 visiteurs débarquent dans la ville : Européens, Australiens, Américains viennent observer les ours à bord d'un Tundra Buggy, un véhicule chauffé haut sur roues conçu spécialement pour aller voir les ours. Ils peuvent même dormir dans le Tundra Buggy Lodge, sorte d'hôtel mobile qui leur permet de vivre parmi les ours. La saison des ours polaires (huit semaines) constitue la plus importante activité économique de Churchill, avec le port, qui expédie le blé canadien en Europe, lorsque la baie est navigable, de juillet à octobre.

Et durant l'été, en juillet et en août, les touristes viennent observer les 3000 bélugas qui, après avoir remonté le courant vers des eaux plus chaudes, se rassemblent à l'embouchure du fleuve Churchill. «Vous avez 40 % de chance de voir des ours polaires pendant la saison des bélugas», nous dit John Gunter, de l'entreprise Frontiers North Adventures, qui offre ces expéditions d'observation des ours polaires.

Aurores boréales

Je ne suis pas venue à Churchill pour voir les ours polaires ni les bélugas, mais pour observer les aurores boréales.

Notre guide, Rhonda, se charge d'abord de nous procurer des parkas, des bottes, des tuques et des mitaines. Notre groupe se compose de gens venus d'Australie, de Chine, du Mexique et des États-Unis. Personne n'est suffisamment équipé pour affronter ce froid sibérien. John Gunter, qui conduit le Tundra Buggy, vient nous chercher directement à la porte de l'hôtel, en fin de soirée, puis il engage le mastodonte sur fleuve Churchill, alors couvert d'une glace de huit pieds d'épaisseur, jusqu'à ce que, derrière nous, les lumières de la ville s'estompent complètement. Une fois le véhicule immobilisé, certains d'entre nous s'installent sur la plate-forme d'observation du buggy et d'autres descendent sur la rivière pour planter leur trépied dans la glace. Une lueur vague apparaît sitôt à l'horizon. Doucement des rideaux de lumière traversent le ciel. Les bleus, les rouges, les verts, se tordent, deviennent lu- mineux, pâlissent, et la nuit redevient noire...

Nos journées à Churchill sont occupées à visiter le Musée Esquimau, à faire du traîneau à chiens et des balades en raquettes. Mike Macri, excellent photographe du Nord, nous reçoit à manger dans sa cabane au milieu des bois avant de nous accompagner pour une promenade en raquettes sur les bords de la baie d'Hudson. «C'est ici, dit-il, que se termine la forêt boréale et que se rencontrent la toundra et la taïga.»

Jamais sans son fusil

Mike porte le fusil en bandoulière et nous aurons vite compris qu'à Churchill, personne ne s'éloigne de la ville sans porter son fusil à l'épaule. En chemin, il nous indique des pistes d'ours au sol. «C'est donc dire qu'il est possible de rencontrer des ours en tout temps de l'année?» demandai-je, terrorisée à l'idée d'un face-à-face. «En hiver, dit Mike, les ours se dispersent un peu partout. Il est possible d'en voir quelques-uns sur la rivière ou sur la baie, mais c'est plutôt rare.»

Une fois la nuit tombée, nous reprenons place dans le Tundra Buggy pour aller admirer le spectacle qu'offrent les nuits de Churchill, en mars. Le dernier soir, nous avons droit à un spectacle magistral. Pourtant, les chances de voir ces déesses de la nuit semblent plutôt minces, à cause des nuages qui couvrent le ciel. Nous attendons patiemment dans le silence de la nuit. Les trépieds sont posés sur la nappe de glace. Nous ressemblons à une équipe d'astronautes qui vient de poser les pieds sur la Lune. Quelques-uns d'entre nous s'allongent directement sur le sol pour observer ces spectaculaires jeux de lumière qui passent du vert pâle au vert foncé, au rose, puis au violet. Bonté divine, je me sens tellement petite devant ce spectacle!

Je pense aux meneurs de chiens avec leurs équipages de traîneaux qui dorment ce soir-là sur la baie d'Hudson. Quels moments magiques ils doivent vivre eux aussi! Je suis arrivée à Churchill en même temps que les coureurs de la Hudson Bay Quest, une course de traîneaux à chiens de 400 kilomètres à laquelle participent des coureurs de toute l'Amérique du Nord. Cette course, qui recrée l'ancienne route des fourrures, va normalement de Churchill à Arviat, au Nunavut, mais comme l'an dernier il a fait des vents de 70 kilomètres à l'heure, on a décidé cette année de raccourcir la course. Neuf équipes y participent, dont une du Québec.

Euphorie

Ce soir, l'euphorie règne à bord du Tundra Buggy. John Gunter déplie une table sur laquelle il dépose le café, le chocolat chaud, les fromages et le vin. Tout le monde a fait de magnifiques photos et chacun est fier de les montrer (j'ai préféré les observer que de les photographier). Puis John range le tout et redémarre le grand autocar chauffé qui nous mène à l'hôtel, au milieu de la nuit.

En montant dans l'avion, le lendemain, je me dis que ce petit bled perdu au bout du monde tire bien son épingle du jeu.

Travel Manitoba : 1 800 665-0040 www.travelmanitoba.com Frontiers North Adventures : 204 949 2051 www.frontiersnorth.com

Fées et génies

Les aurores boréales se manifestent en haute latitude, aux deux pôles magnétiques de la terre, dans les hémisphères Nord et Sud. Elles se produisent dans l'ovale auroral qui encercle les pôles magnétiques. Et Churchill est directement située sur l'ovale auroral de l'hémisphère Nord. Il s'agit donc de l'un des meilleurs endroits au pays pour voir des aurores boréales.

L'aurore boréale, que l'on observe seulement à la nuit tombée, est un phénomène naturel qui est attribuable à l'interaction des particules de soleil avec les atomes de l'atmosphère. À Churchill, il est possible, nous dit-on, d'observer les aurores boréales pendant 300 nuits, mais le temps le plus propice est de janvier à mars, à la condition, bien sûr, que le ciel soit entièrement dégagé. Quand des formes vertes, rouges et bleues se mettent à bouger, à se tortiller dans le ciel, telles des marionnettes, on croirait des fées et des génies.

Touristes comme spécialistes viennent de partout au monde pour observer les ours polaires, les bélugas et les aurores boréales de Churchill. Pas mal quand même pour une communauté de 800 habitants! Sylvie Ruel