Dans l'île de Taïwan, quand il pleut, il pleut dru. Et compter les gouttes serait aussi vain que de recenser les spécialités culinaires nationales. Au menu: thés, chinoiseries, baguettes... et parapluies.

À Taïwan, les jours de mauvais temps (et Dieu sait qu'ils sont fréquents!), villes et montagnes se drapent d'une brume mystérieuse. Toute âme poète pourrait alors s'imaginer que ce voile de vapeur provient des cuisines aux quatre coins de l'île, marchant à plein régime. Et ce serait à peine exagérer: dans ce petit pays au large de la Chine, ça chauffe fort dans les chaumières, où se concocte une gastronomie aussi abondante que variée, soumise à de multiples influences asiatiques. Pour en prendre conscience, il suffit de s'inviter à n'importe quelle table taïwanaise, et ce, n'importe où dans l'île.

Anecdote révélatrice, dans un restaurant de Lukang, dans l'ouest du pays: l'air embarrassé, l'une de nos sympathiques serveuses, les bras chargés d'une soupe de poulet aux pousses de bambou et d'un gâteau de riz aux crevettes, a eu toutes les peines du monde à leur trouver une place sur une table déjà saturée de mets.

Pendant ce temps, à l'extérieur, un typhon faisait rage. Nous étions certes au sec, mais certainement pas à l'abri de ce déluge de nourriture. Salade de méduse à la sauce soya et au sésame. Dumplings à gogo (aux crevettes, au porc, aux haricots rouges, alouette...) coiffés de gingembre mariné. Omelette au navet. Rouleaux de poulet et prunes séchées, en tranches. Crevettes géantes grillées et épicées. Et tant d'autres, que nous aimerions énumérer dans cet article, mais telle notre serveuse... nous manquerions de place!

Devant cette avalanche éclectique de nourriture - présentant une empreinte chinoise évidente, mâtinée d'une touche nippone (réminiscence de plus de 50 ans d'occupation japonaise) -, cerner l'identité gastronomique locale reste un défi. «Il est très difficile de définir clairement la cuisine de Taïwan, car elle est influencée par une foule de groupes ethniques», analyse Ya-Yu Kuo, doctorante en anthropologie à l'Université Tsing Hua. «La plupart des habitants actuels de l'île proviennent du sud-est de la Chine, mais d'autres provinces sont aussi représentées. Au fond, notre gastronomie est un creuset composé d'une multitude de petits plats.»

Véritable carrefour culinaire, l'île est toutefois parvenue à se forger son propre style. Pour mieux l'appréhender, nous avons toqué à la porte de Shin Yeh, restaurant de spécialités taïwanaises. «Notre cuisine se définit par trois éléments», explique Cybie Fang, l'une des gestionnaires de cette institution de Taipei. «Premièrement, la limpidité des saveurs. Nous aimons les goûts clairement définis, avec peu de sauces. Ensuite, la fraîcheur, que nous mettons en valeur en réduisant le temps de cuisson. Enfin, nous privilégions les sautés avec de l'ail et des oignons verts.»

Un quatrième ingrédient pourrait même être ajouté: la variété. À Taïwan, on ne s'empiffre pas; on picore au gré des plats. Même les gloutons doivent réfréner leurs ardeurs, contraints par la taille réduite des bols et des assiettes, inversement proportionnelle à celle des tables, gigantesques!

Cuisine marine

Cela saute aux yeux (et au palais): les fruits de mer occupent un rôle de premier plan dans cette gastronomie éclatée. Tout comme le Japon, Taïwan n'a qu'à tendre le bras pour en récolter d'excellents. «En tant qu'île, nos fruits de mer sont à portée de main, ce qui nous permet de disposer des produits les plus frais possible», souligne Cybie Fang.

De nouveau, les exemples pleuvent; et revoilà notre serveuse, qui ne sait plus où déposer son plat de poulpe au basilic, soya et gingembre, cuit dans de l'alcool de riz taïwanais. Ni sa soupe de crabe aux nouilles, coeurs d'artichaut, tofu, brocoli et chou chinois. Pas même cette soupe aux muscles de porc, oeuf de canard, pousses de bambou, coquille Saint-Jacques et bouillon de poisson («la rencontre entre la terre et la mer», dit-on à Taïwan). Pourquoi ne pas les glisser à côté de ce crabe en mue (soft-shell crab) frit aux piments, haricots et oignons verts? Ou de cet estomac de poisson, frit puis cuit à la vapeur - mets raffiné concocté pour les grandes occasions?

Ouf! Ce n'est pas la valse des tables rotatives qui nous donne le tournis, mais bien la liste de ces plats marins presque infinie...

Un régal pour les yeux, également: les oreilles de mer ("abalones"), succulents mollusques très prisés en Asie, ont de quoi séduire, avec leur ravissante coquille à la nacre bleutée et leur texture pleine de tendresse...

Se ruer sur la cuisine de rue

Pour autant, l'expérience gastronomique taïwanaise ne se confine pas aux quatre murs d'un restaurant. Alors que la cuisine de rue en est à ses balbutiements à Montréal, cette culture est très solidement ancrée dans les villes de Formose, et depuis belle lurette.

Encore une fois, on le devine, la palette de choix est incroyablement large! Patates douces panées, nouilles au boeuf, omelettes aux huîtres, boulettes de riz au sang de porc... sans oublier (chose difficile, une fois humé) le «tofu puant», aliment fermenté, pour qui ose s'y frotter.

«La cuisine de rue est le reflet de la gastronomie locale», indique Ya-Yu Kuo. «Par exemple, dans la ville de Lukang, les boulettes de viande et de taro sont courantes, car elles étaient autrefois destinées aux ouvriers qui travaillaient sur les bateaux et qui avaient besoin de nourriture énergisante.»

Qui plus est, elle constitue un excellent prétexte pour se plonger dans l'ambiance des villes taïwanaises, en s'aventurant au gré des marchés de nuit, là où s'enfilent les échoppes et leurs trésors gourmands.

Bref, Taïwan a largement de quoi donner l'eau à la bouche, surtout si l'on oublie... son parapluie!

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- Les frais de ce voyage ont été couverts par le ministère des Affaires étrangères de Taïwan.