Avec leurs cimes enneigées enlaçant les cieux, les majestueuses montagnes du nord du Pakistan ont longtemps été un paradis pour les alpinistes aventureux, jusqu'à cette attaque talibane qui en a tué dix l'an dernier. Mais aujourd'hui, la région relève la tête grâce au tourisme local.

En juin 2013, dix alpinistes étrangers partis à l'assaut du Nanga Parbat, le neuvième plus haut sommet du monde (8125 mètres), perdaient la vie avant même de se hisser sur ses flancs nus, exécutés avec leur guide pakistanais par un groupe armé lié aux talibans locaux, proches d'Al-Qaïda.

L'attaque a plombé la fragile industrie touristique locale. Et au pied de la montagne himalayenne, sur la pancarte bleue indiquant «la montagne tueuse» - son surnom donné bien avant 2013 en raison des victimes régulières de son ascension - l'adjectif a été recouvert de noir car rappelant trop de tristes souvenirs.

Chef au restaurant La brise du Glacier, dont la terrasse donne sur les contreforts de l'Himalaya, Ahmed Ali Khan passe depuis ses journées à fixer l'horloge de sa cuisine, attendant des touristes qui défilent au compte-gouttes dans son village de Passu.

«On nettoie le restaurant le matin, on met nos uniformes et on attend les touristes... Mais c'est très dur. C'est comme attendre l'amour», souffle-t-il, dépité.

Paradis des grimpeurs, la région pakistanaise de Gilgit-Baltistan compte plusieurs des plus hauts sommets du globe. Avant le 11-Septembre et l'invasion occidentale de l'Afghanistan voisin, des centaines d'étrangers affluaient chaque jour d'été dans ces vallées verdoyantes nichées entre ces toits du monde. Leur nombre a ensuite chuté à une cinquantaine.

«Ils avaient peur»

Et l'attaque du Nanga Parbat a encore plus enfoncé le clou. «Beaucoup de visiteurs ont annulé leur visite dans la vallée. Il n'y avait plus que deux ou trois touristes par jour. Et ils avaient peur, ils n'étaient pas à l'aise», note Sherbaz Kaleem, gérant du fort de Baltit, ancienne résidence des rois de la vallée de Hunza.

Mais si les Occidentaux délaissent les beautés du nord du Pakistan, de plus en plus de Pakistanais les découvrent. Selon les hôteliers locaux, qui ne donnent pas de chiffres, un nombre sans précédent de touristes locaux vient désormais passer l'été dans ces fraîches vallées pour échapper à la lourde chaleur qui accable au même moment les plaines du pays.

«Les années précédentes, nous partions en vacances d'été à l'étranger, aux États-Unis, en Europe ou en Malaisie. Cette année, j'ai décidé de visiter le nord du Pakistan, et je n'ai jamais vu d'aussi belles montagnes et d'aussi splendides paysages», se félicite Shahzad Hafiz, venu avec sa famille de Lahore, la grande ville de l'Est pakistanais.

Mais les touristes nationaux, moins fortunés, sont encore loin de soulever le même enthousiasme que les visiteurs étrangers.

Dans sa boutique d'articles de trekking, Saddar Karim, peine cette année à écouler sa marchandise aux Pakistanais peu attirés par l'escalade. «Cette année, il n'y a pas d'étrangers ici, que des Pakistanais, et ils n'achètent pas ces équipements car ils n'en ont pas besoin», peste-t-il.

Choc pakistanais des cultures

L'industrie touristique locale tente de s'adapter aux besoins de ces nouveaux touristes, et ce même s'ils dépensent moins, note Imtiaz Ali, propriétaire du voyagiste local Hunza Holidays.

«Le tourisme pakistanais est plus pérenne que l'international car il est moins affecté par la situation politique et sécuritaire» instable du pays qui effraie les étrangers, note-t-il, en espérant que cette nouvelle tendance aide les Pakistanais de différentes régions à mieux se comprendre.

Mais il reste du chemin à faire sur ce point. Car dans cette région du Gilgit-Baltistan peuplée en grande partie de chiites ismaéliens, aux moeurs plus libérales que dans le reste du pays, les habitants reprochent parfois aux touristes pakistanais de ne pas respecter l'environnement ou de vouloir leur imposer une version rigoriste de la religion musulmane et de la société.

Certains de ces touristes «veulent affirmer leur identité, et prêchent ainsi un islam wahhabite sans s'intéresser à la culture et aux rites locaux», ce qui nourrit les tensions, estime Aziz Ali Dad, un habitant.

Guide au fort de Baltit, dans la ville de Karimabad, Sherbaz Kaleem se souvient ainsi des drôles de questions posées récemment par un groupe d'étudiants venus de la province du Pendjab.

L'un d'eux a levé la main et a dit avoir remarqué que la population locale buvait parfois du vin d'abricots, des alcools de baies et ne priait pas beaucoup. Avant de demander: «Pourquoi n'êtes-vous pas de bons musulmans?». Habile diplomate, Sherbaz a répondu par un sourire silencieux, avant de passer rapidement à un autre groupe.