Se hisser sur le toit du monde : dommage que ce rêve partagé par tant soit à la portée des chevronnés seulement. Mais le commun des mortels peut toujours effleurer les premiers barreaux de l'échelle menant au roi des sommets, un défi réalisable par tout randonneur en forme et motivé. Bienvenue dans l'Himalaya, où nous vous guidons, pas à pas, sur un itinéraire éblouissant aboutissant à l'ombre d'un géant nommé Everest.

Un coucou cahotant

Katmandou. Deux fouines magasinent au gré des boutiques de plein air. Pasang Sherpa, le guide népalais qui doit me conduire au camp de base de l'Everest, fait l'inventaire : sacs de couchage, épais manteaux, pastilles de purification d'eau, etc.

Une fois parés, reste à déterminer notre mode de transport jusqu'au départ du trek. Entre 14 heures de bus et une petite demi-heure d'avion, nous optons pour les airs, même si le petit coucou brinquebalant à l'atterrissage sur la piste dangereusement courte de Lukla nous donne des sueurs froides.

À travers les hublots vibrants, les silhouettes des sommets himalayens se dessinent, déjà magiques et menaçants. Pasang les nomme un à un, entre deux secousses.

Premiers pas, premiers bouddhas

À peine nos sacs à dos récupérés, nous voici lancés sur une autre piste, celle qui serpente jusqu'au pied de l'Everest, à 50 km de là. Au programme, 15 jours de marche sur d'importants dénivelés.

Nos premiers pas longent des champs fleuris, émaillés de rhododendrons (« Un symbole national du Népal », précise le guide), où les montagnes se montrent encore sages.

Une sagesse puisée dans le bouddhisme ? En effet, le ton est rapidement donné par divers monuments et symboles religieux jalonnant le sentier : drapeaux multicolores, stupas (pagodes contenant des reliques), écritures saintes peintes sur les rochers, moulins à prières (cylindres métalliques à faire pivoter) ; autant de balises qu'il faut systématiquement contourner par la gauche, explique Pasang.

Entre monts et ponts

L'échauffement champêtre se termine abruptement, sitôt entamée une montée corsée vers Namche Bazar, un village en forme de fer à cheval, fiché entre des monts majestueux, à 3440 m. Mais toute jérémiade relative au poids de nos sacs serait malvenue. À nos côtés, en simples sandales, des porteurs népalais foncent comme des flèches, pourvus de chargements herculéens frisant parfois les 70 kg.

Pourtant, obstacles et fatigue commencent bel et bien à se profiler. À la mi-montée, nous croisons un couple de quinquagénaires ontariens, qui semble déjà douter de son projet. Et, à l'heure de franchir l'un des ponts suspendus les plus haut perchés du parcours, nous dépassons un randonneur américain tétanisé face à l'épreuve.

Mais tous parviendront finalement au marché de Namche, dernier point de ravitaillement majeur, sur le point de plier boutique. Avant de nous coucher, nous partons saluer la statue de Tensing Norgay, le sherpa qui a accompagné Edmund Hillary lors de la première conquête victorieuse de l'Everest. Derrière son piolet levé vers les étoiles himalayennes naissantes, une silhouette ténue surgit, au loin :  celle de l'Everest.

As de pics

Passé Namche, les premiers effets de l'altitude surviennent. « Lentement, lentement, lentement... », répète Pasang, comme un mantra. L'oxygène se raréfie, tandis que les panoramas somptueux, eux, prolifèrent. Nous multiplions les pauses, tantôt pour céder le passage aux convois de yaks, tantôt pour immortaliser des pics devenus monstrueux : Thamserku (6608 m), Ama Dablam (6856 m), Tobuche (6367 m)... À petits pas, toisés par ces colosses immobiles qui semblent exhaler des nuages, et cernés par le bourdonnement des hélicoptères de secours ou de ravitaillement, nous persévérons au fil des refuges et des monastères, dont celui de Tengboche, d'une beauté et d'un mysticisme sidérants. Le parcours se corse, le froid devient plus mordant. Dans ces contrées difficilement accessibles, le prix des denrées, lui aussi, atteint des pics.

Invisible goliath

Lentement, lentement, lentement, nous atteignons Gorak Shep, un hameau perché à plus de 5100 m, à quelques foulées du camp de base convoité. La dernière ligne droite nous en met plein la vue, émaillée de montagnes si gigantesques qu'elles n'entrent plus dans le cadre de l'appareil photo. En longeant Nuptse et Lhotse, deux voisins du champion des sommets, voici que pointe au loin un glacier au bleu azuré, serti d'une myriade de tentes jaunes. Nous y sommes ! Les randonneurs venus des quatre coins du monde arpentent le camp et se mitraillent d'égoportraits, sourire glacé aux lèvres.

Et il y a de quoi sourire... En voulez-vous une bonne ? Depuis le fameux camp de base, il n'est pas possible d'observer... l'Everest, masqué par ses congénères géantes !

Qu'à cela ne tienne : dans un ultime effort nocturne, nous gravissons le pic de Kala Pattar, loge idéale pour admirer le lever du soleil sur le toit du monde. De là, nous plissons les yeux, espérant apercevoir quelque fourmi héroïque à crampons arpenter l'échine du géant.

Chacun son rêve, mais le seul fait d'être ici, au pied de ce mythe montagneux, suffit pour considérer le mien comme accompli.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse

L'un des ponts suspendus les plus impressionnants, avant d'atteindre Namche Bazar. Celui en contrebas n'est plus utilisé, car il est jugé non sécuritaire.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse

En traversant les villages, des petits visages curieux apparaissent sur le seuil des maisons.