Depuis mars 2016, Jonathan B. Roy fait le tour du monde à vélo. Il nous le raconte ici, une aventure à la fois.

Mes coups de pédale m'ont amené jusqu'au Kirghizistan, un pays montagneux d'Asie centrale comptant un peu moins de 6 millions d'habitants.

Au lieu de continuer sur la route principale pendant 280 km jusqu'à la prochaine ville, j'opte plutôt pour l'option «rapide», soit 160 km en ligne droite à travers un sentier de montagnes.

Bientôt, cependant, les paysans le long de cette route me disent que je me trompe de chemin, et que je devrais revenir sur mes pas, car l'ascension que je me propose de faire est impossible.

Ils ne le savent pas, mais leurs avertissements ne peuvent que me convaincre de m'entêter à continuer dans cette direction.

À 115 livres avec l'équipement, mon vélo est plus lourd que jamais. Je transporte pour ce trajet huit sacs d'épicerie, dont deux remplis de barres Snickers. Faut bien survivre!

L'asphalte fait vite place aux roches, et l'inclinaison augmente. Un cueilleur de mûres me dit que la route est fermée pour l'hiver plus loin. Ça ne m'inquiète pas trop, un vélo, ça passe partout. Je lui demande quand même si la pente devient plus abrupte encore.

Je pense que le paysan me répond étrangement en me faisant un «high five», mais je réalise qu'il me mime plutôt l'inclinaison de la montagne. C'est un mur.

Il ajoute: tu sais qu'il y a des loups dans la montagne? 

Excellent...

Comme cyclovoyageur, on se fait trop souvent dire que c'est impossible de passer, ce qui fait qu'on en arrive à ne plus croire personne.

Mais ça continue à se compliquer. Une rivière a complètement inondé la route dans une vallée. Je dois la traverser à pied en poussant mon vélo dans le courant. Et ce n'est que le premier d'une dizaine de cours d'eau...

J'arrive à la tombée de la nuit au pied du mur. Le cueilleur ne m'a pas menti, un vrai «high five». Impossible de pédaler sur ce chemin. Au matin, je mets mes chaussures de randonnée, et je pousse, et pousse encore. 

En montant, je me dis que ça serait peut-être plus facile de faire des allers-retours avec mes sacs au lieu de tout pousser d'un coup. Mais je ne le fais pas, pour la même raison qu'on essaie de transporter toute son épicerie en un seul voyage, quitte à s'arracher les épaules.

Deux hommes réparent une cabane. Ils viennent me voir. «Tu sais qu'il y a des loups dans la montagne?» Oui, je sais!

Plusieurs sections sont à plus de 30 % d'inclinaison. Des ingénieurs ont perdu leur emploi pour moins que ça. Et à mesure que ça monte, il y a de plus en plus de boue, puis de neige. Je dois vérifier chaque endroit où je pose le pied afin de ne pas glisser vers l'arrière.

Photo Jonathan B. Roy, Collaboration spéciale

La première d'une dizaine de rivières à traverser sur la route.

L'altitude, approchant maintenant les 3000 mètres, me coupe le souffle, et je me donne comme objectif de faire 60 pas entre chaque pause.

La fraîcheur de l'air et l'odeur de la neige fondue me donnent des mirages de cabane à sucre. Je me force à chasser ces pensées de jambon dans le sirop d'érable, et je me console avec une Snickers.

Après 10 heures d'effort depuis le matin, je m'arrête à nouveau à la noirceur. J'ai avancé d'un impressionnant 9 km, en grimpant trois fois le dénivelé du mont Tremblant. Je campe sous zéro, grelotant malgré tous mes vêtements. 

Le lendemain, je jouerai encore deux autres heures à « pousse-le-bécyk » avant d'atteindre le sommet, situé à seulement 1,5 km.

Je m'écrase de fatigue au sol, mais avec la fierté d'avoir accompli ce que tant de gens avaient qualifié d'impossible. Je ne peux m'empêcher de sourire.

Bien sûr, il me reste la descente dans la neige du versant nord. Mais je ne suis pas inquiet. 

Car je sais que rien n'est impossible.

Photo Jonathan B. Roy, Collaboration spéciale

Au Kirghizistan, j'ai poussé mon vélo dans la neige, la boue et la roche pendant d'interminables kilomètres.