John Packer a pris ses quartiers sur les plages du Kerala le temps d'une coupure de six mois, mais la prochaine interdiction de l'alcool dans cet État du sud de l'Inde pourrait inciter ce touriste britannique à changer ses plans.

«Ce ne seront plus des vacances alors», réagit ce carreleur britannique de 41 ans, attablé avec une bière à l'un des restaurants de front de mer de la cité balnéaire de Kovalam.

«Quand je sors, je veux pouvoir boire quelques bières pour me détendre. J'ai travaillé dur pour ça», dit-il à l'AFP.

Le Kerala, avec ses longues plages, ses house-boats et ses plantations de thé, est devenu l'une des principales destinations touristiques de l'Inde, choisissant comme slogan «le propre pays de Dieu».

Mais derrière l'image paradisiaque, le Kerala est aux prises avec un problème sérieux d'alcoolisme dans sa population de 34 millions d'habitants, qui a poussé son gouvernement à interdire pratiquement totalement l'alcool, déclenchant l'inquiétude du secteur du tourisme.

Les propriétaires de bars ont porté l'affaire devant la justice, craignant de voir fuir les touristes vers Goa ou le Sri Lanka.

Jeudi, la Cour suprême indienne a suspendu la mesure jusqu'au 30 septembre pour pouvoir étudier la requête de ces propriétaires.

Plus de 700 bars du Kerala devaient initialement perdre leur licence dès vendredi. Seuls les hôtels cinq étoiles pourront servir de l'alcool, sauf le dimanche.

Les magasins d'État, où les hommes font la queue pour leur dose quotidienne, vont être progressivement supprimés au rythme de 10% par an sur dix ans. Les finances de l'État vont s'en ressentir alors que les taxes sur les alcools ont rapporté plus d'un milliard de dollars sur l'exercice 2012/13.

«Le Kerala doit se préparer à une interdiction totale de l'alcool», a dit le chef de son exécutif, Oommen Chandy, en annonçant cette décision le mois dernier.

Les partisans de l'interdiction se félicitent, mais Suman Billa, haut fonctionnaire au ministère du Tourisme de l'État, estime qu'il s'agit d'une «préoccupation majeure». «Nous recevons environ un million de touristes étrangers chaque année pour qui le vin et la bière font partie de leurs habitudes alimentaires», dit-il à l'AFP.

L'État engrangeait aussi des revenus lors des conférences et congrès dans des hôtels. «Il y a toujours un cocktail ou un dîner à ces occasions. Aussi je pense que cela ne va vraiment pas être attractif quand nous dirons: ''venez, mais nous ne pourrons vous servir d'alcool''», ajoute-t-il.

Ses craintes s'appuient sur un récent sondage du site de voyage HolidayIQ.com, réalisé auprès de 5000 Indiens, et selon lequel 58% disent qu'ils changeront leurs plans en raison de l'absence d'alcool.

«Un mauvais message»

Mais le gouvernement se montre ferme sur le sujet malgré les craintes des hôteliers.

«Nous affrontons déjà une forte concurrence», relève G. Sudhiesh Kumar, qui dirige l'Hotel Sea Face à Kovalam et enregistre des annulations de clients européens.

Il s'inquiète en particulier de voir les jeunes diplômés du secteur des hautes technologies chercher du travail ailleurs et de voir fuir les investisseurs. «Qui va venir investir son argent au Kerala? C'est un mauvais message», selon lui.

Rares sont ceux qui nient le problème de l'alcoolisme dans cet État qui a la plus forte consommation d'alcool en Inde, en raison de son niveau de vie relativement élevé et d'une longue tradition de consommation à domicile.

Selon l'ONG The Alcohol and Drug Information Centre, quelque 69% des crimes et 40% des accidents de la route ont un lien avec l'alcool. «Les femmes et les foyers souffrent», regrette son directeur Johnson J. Edayaranmula.

Mais même lui estime que cette prohibition, pourtant largement approuvée au niveau local, a été mal pensée. «Le gouvernement a pris une décision à la hâte et maintenant il ne sait pas quoi faire», dit-il.

À Kovalam, de nombreux restaurants ne paient pas de licence et vendent de la bière illégalement dans des mugs. Ce circuit clandestin devrait se développer et l'argent des taxes se transformer en pots-de-vin.

«Les gens aiment réellement boire ici», réagit Cyril de Montaigu, un routard français de 31 ans. «La prohibition ne marche jamais, il y a toujours un marché parallèle». Lui aussi a décidé de quitter le Kerala.