Les portes de la salle à manger géante s'ouvrent. Une armada de fidèles affamés se rue à l'intérieur, assiette compartimentée, ustensiles et bol à la main. À peine le temps de trouver une place pour s'asseoir sur les longs tapis en rangées que la distribution de nourriture commence. Chapatis (pains plats), légumes, pouding au riz, eau. Quelques minutes pour manger et hop ! après une dernière bouchée rapide, il faut déjà céder la place aux prochains convives.

Bienvenue dans la cantine géante du Temple d'or d'Amritsar. Chaque jour, 35 000 repas gratuits y sont préparés et servis, exclusivement par des bénévoles. Pour les dévots, c'est une façon de se conformer à l'un des piliers du sikhisme, celui d'accomplir régulièrement une action altruiste.

Centre spirituel de la religion sikhe, le Temple d'or - qui doit son surnom à son dôme en fleur de lotus inversé recouvert de 750 kg d'or massif - accueille quotidiennement plus de visiteurs que le Taj Mahal. La vaste majorité d'entre eux vient y prier, mais le touriste y est tout aussi bienvenu. À condition de se couvrir la tête et d'enlever ses chaussures.

Après tout, le sikhisme, fondé au XVe siècle non loin d'Amritsar, se veut une religion inclusive. Son premier gourou, Nanak, cherchait à libérer ses disciples du système de castes hindou et d'autres règles trop strictes de l'hindouisme et de l'islam, les deux religions dominantes dont le culte sikh est grandement inspiré.

Une chose qui nous étonne en entrant dans le vaste complexe de fortifications blanches qui ceinturent le Temple d'or: l'absence totale de mesures de sécurité. Aucune fouille des sacs ni fouille corporelle. Une exception notoire dans un pays où les attentats terroristes ont entraîné une sécurisation à outrance de l'espace public.

D'autant plus étonnant lorsqu'on se rappelle qu'en 1984, des indépendantistes réclamant la création d'un État sikh - baptisé «Khalistan» - se sont barricadés dans le Temple d'or, armés jusqu'aux dents. L'assaut lancé par l'armée indienne pour les en déloger a fait 600 morts, grandement endommagé le lieu de culte et déclenché un cycle de violence inouï. Quatre mois plus tard, la première ministre indienne Indira Gandhi a été abattue par ses deux gardes du corps sikhs. Les émeutes anti-Sikhs qui ont suivi ont coûté la vie à 3000 innocents.

Le mouvement séparatiste est aujourd'hui affaibli, mais il compte toujours des sympathisants parmi les 20 millions de Sikhs d'Inde, mais aussi dans les diasporas à l'étranger, particulièrement celle du Canada, qui compte 300 000 membres.

Ces événements tragiques semblent toutefois bien lointains aujourd'hui lorsqu'on constate le calme du complexe religieux, bercé à toute heure par le kirtan, chants dévotionnels accompagnés par des instruments traditionnels indiens. Près de la piscine sacrée qui entoure le Temple d'or, des fidèles se prosternent, alors que d'autres font leurs ablutions au milieu de gros poissons, garants de la propreté des eaux.

Une attente qui vaut le coup

Pour atteindre le temple, il faut compter au moins une heure d'attente, coincé au milieu des fidèles sur la large passerelle couverte qui relie le bâtiment au reste du complexe. Une fois à l'intérieur s'offrent à nous de magnifiques ornements dorés et en pierres précieuses incrustées et, surtout, une immersion totale dans la foi sikhe. À chacun des trois niveaux du temple, reliés par d'étroits escaliers, un homme assis sur un coussin lit à voix haute le Guru Granth Sahib, un ouvrage que les Sikhs considèrent non seulement comme un livre sacré, mais comme leur 11e leader spirituel, successeur éternel des 10 premiers gourous qui se sont éteints.

À la sortie, un bénévole distribue à tous, sikhs ou non, une bouchée de karhah prashad, pouding aussi sacré que sucré. Prenez et mangez-en tous.

Le temple est ouvert 24 heures sur 24. Si vous voulez prolonger l'expérience, il est possible de loger gratuitement dans des dortoirs - certains sont même réservés aux étrangers - près du temple.

Pour constater les influences réciproques des rites hindous et sikhs à Amritsar, allez au Durgiana Mandir, copie hindoue du Temple d'or, parfois appelé Temple d'argent.

En chemin, vous pourrez vous perdre dans les ruelles marchandes de la vieille ville, où se côtoient bijoutiers, tresseurs de tapis, fabricants de cerfs-volants, sans oublier les vendeurs de tissu à turban sikh (cours sur l'art de l'enroulement en sus) ou de kirpans, fameux poignards rituels.

Photo Frédérick Lavoie, collaboration spéciale

Chaque jour, 35 000 repas gratuits sont préparé et servis, exclusivement par des bénévoles, dans la cantine géante du Temple d'or d'Amritsar.