C'est comme si un navire s'était échoué sur le bord d'une rivière de glace, à 3670 m d'altitude.

Le refuge Betlemi, sur les flancs du mont Kazbek, dans le nord de la Géorgie, est une ancienne station météorologique datant de l'ère soviétique. Fait de ciment et de pierres, il tombe pratiquement en ruine. Mais lorsque nous voyons son extrémité arrondie, comme une poupe, se dresser au-dessus du glacier de Gergeti, nous nous réjouissons. Cela fait six heures que nous marchons, d'abord dans des alpages fleuris, puis sur une austère moraine, et finalement sur le glacier de Gergeti. Le refuge délabré sera notre maison pour les trois prochaines nuits, le temps de faire l'ascension du mont Kazbek, à 5047 m d'altitude.

Le mont Kazbek est l'une des plus hautes et des plus belles montagnes du Caucase. C'est aussi l'endroit où, selon la légende, Zeus aurait attaché Prométhée pour le punir d'avoir volé le feu pour le donner aux hommes.

Pour l'instant, nos pensées tournent plutôt autour du repas qui nous attend au refuge. Nous devons toutefois réajuster nos attentes. Nous réalisons que notre cuisinier n'a rien d'un professionnel des fourneaux: il s'agit en fait d'un étudiant en philosophie allemande classique qui sait vaguement faire cuire des pâtes et ouvrir une boîte de boeuf en conserve. Rapidement, par dérision, nous surnommons notre jeune cuistot «Michelin», en référence au fameux guide des grands restaurants.

Le refuge Betlemi est humide, sombre. Mais comme nous nous entassons à sept personnes dans une chambre, nous dormons au chaud.

Le lendemain matin, nous partons faire une marche sur une section plus élevée du glacier, histoire de s'acclimater à l'altitude et de s'entraîner à marcher encordés, crampons aux pieds.

Affronter le sommet

Ce n'est que le jour suivant, avant le lever du soleil, que nous partons pour affronter le sommet. Malheureusement, la visibilité ne cesse de se détériorer, une petite bruine se transforme en glace sur nos manteaux. Après trois heures d'ascension, nous ne voyons plus rien. Notre guide s'arrête et nous conseille de redescendre. Il a un argument massue: il y a un mois, par un temps semblable, il s'est égaré ici et a dû passer deux nuits sur la montagne.

Nous n'insistons pas et acceptons de retourner au refuge. Nous avons une autre décision à prendre: passer une autre nuit ici, et espérer un temps plus convenable demain pour une nouvelle tentative, ou redescendre immédiatement au village de Kazbegi et passer une nuit plus confortable.

Les prévisions météo n'étant pas encourageantes, nous décidons de redescendre, la mort dans l'âme. En chemin, nous tentons de nous consoler en visitant une église mythique du XIVe siècle, la Sainte Trinité, juchée à 2200 m d'altitude au-dessus de Kazbegi. La ferveur des Géorgiens qui se pressent à l'intérieur, allument des lampions, embrassent les icônes, nous touche.

Découvertes inattendues

En raison du changement dans notre itinéraire, nous nous retrouvons avec une journée libre, imprévue. Michelin, qui est descendu avec nous, nous propose une petite randonnée dans les environs de Kazbegi.

Nous suivons une rivière, puis un ancien chemin envahi par les fleurs, puis un sentier de vaches à flanc de colline pour finalement parvenir au joli village de Sno. Nous déambulons dans des rues étroites, bordées de vieilles maisons de pierres. Nous visitons une petite chapelle récemment restaurée.

Piètre cuisinier, Michelin se révèle un guide fascinant. Il nous explique notamment le rôle que joue la religion dans la société géorgienne, laissant glisser ici et là une petite remarque critique.

Nous suivons des chemins de terre pour visiter un autre village, puis un hameau où se dressent encore de vieilles tours de pierre qui servaient autrefois à surveiller les environs et à défendre les villageois. D'en haut, le panorama de montagnes et de vallées est saisissant.

Maintenant, des vaches ont élu domicile dans les bâtiments en ruine qui se pressent au bas des tours. Plus loin, dans la partie habitée du hameau, les habitants vaquent à leurs occupations, désherbent leurs potagers, nourrissent les cochons et les poules.

En revenant vers Kazbegi, nous nous désaltérons à une source d'eau minérale, légèrement gazéifiée. Une piscine, emplie de la même eau, accueille la jeunesse de la région.

Notre petite balade nous comble. Nous réalisons que pendant notre séjour dans les hautes montagnes, nous n'avions eu aucun contact avec la population locale. Il n'y avait aucun village, que des moraines et des glaciers.

Nous cherchions la gloire des sommets: nous trouvons le bonheur sur un chemin de campagne.