3h. La nuit est fraîche. Le ciel, chargé d'étoiles. Le silence serait total au creux de ces montagnes de l'est de la Corée, n'eût été le bruit d'un tambour qui résonne au loin. L'appel des moines à la première prière du matin. Immersion dans un monde hors du temps.

Temple de Haeinsa, Corée du Sud - Lentement, en silence, les hommes vêtus de longues tuniques grises et de petits sabots de plastique noir cheminent vers l'un des nombreux pavillons du monastère de Haeinsa, d'où filtre la lueur orangée d'une ampoule réfléchissant sur une statue géante de Bouddha, entièrement recouverte de feuilles d'or.

Sans échanger une parole, les hommes récupèrent un à un le petit tapis gris sur lequel ils effectueront les premières d'une très longue série de prosternations devant Bouddha. Le seul son qui s'échappera de leur bouche ce matin sera celui du chant des sutras (textes sacrés) qu'ils réciteront en choeur. Un son grave, enveloppant, énigmatique.

Cent fois, mille fois, les moines ont répété cette scène qui échappe normalement aux regards extérieurs, coréens comme étrangers. Mais ce matin-là, dans un coin de la pièce, une dizaine de visages pâles suivent la scène avec un mélange d'étonnement et d'admiration, avec le sentiment étrange d'avoir pénétré dans un monde secret.

Si les moines sentent la présence des intrus, ils n'en laissent pourtant rien paraître. Impassibles, quoique bien au fait de l'attention qui leur est portée depuis qu'on permet à des touristes de tous horizons de venir séjourner dans une quinzaine de monastères pour expérimenter leur style de vie.

Participation

Contrairement à bon nombre de retraites religieuses, l'expérience des visiteurs est ici plus participative que passive.

C'est ainsi que, dès leur arrivée, les étrangers doivent abandonner le monde moderne, mettre de côté leur téléphone cellulaire et leurs vêtements colorés pour enfiler le costume marron des apprentis moines. Le confort est spartiate. Hommes et femmes dormiront séparément dans des dortoirs (des exceptions sont prévues pour les familles avec de jeunes enfants, qui peuvent occuper une chambre particulière). Chacun prépare son lit pour la nuit: une simple natte posée à même le sol (alléluia, les moines connaissent les planchers chauffants!), une couverture et un oreiller.

Le couvre-feu est à 21h, le réveil à 3h du matin pour suivre les moines dès leurs premières pérégrinations, bien avant le lever du soleil. Après le chant des sutras, les touristes devront eux aussi effectuer 108 prosternations matinales devant Bouddha, pour se libérer de chacune des 108 souffrances de l'homme relevées par le bouddhisme. Oui, s'agenouiller 108 fois en pliant d'abord les chevilles, puis les genoux, pencher le torse, poser le front au sol, relever les mains près des oreilles, redresser le tronc, les mains jointes sur le sternum, puis se relever sans faire de bruit ni perdre l'équilibre.





Les moines le font avec ce léger sourire de béatitude qui semble ne jamais les quitter. «Mais pour vous, qui n'en avez pas l'habitude, 108 fois, c'est beaucoup, alors nous allons trouver un compromis», prévient le moine responsable de notre petit groupe. Il faudra en faire 65. Personne ne protestera contre cette réduction inespérée.

Cet éveil du corps prépare l'esprit pour la médiation. On explique bien aux touristes comment s'installer en position du lotus - ou plutôt en demi-lotus pour la plupart d'entre eux, peu habitués à faire preuve de tant de flexibilité! -, l'importance de garder le dos droit, les mains sur le bas du ventre avec les pouces vis-à-vis, mais qui ne se touchent pas. Un détail qui permet au gardien de repérer ceux qui ont osé relâcher la garde et les mains, et qui mériteront un petit coup de son bâton de bambou sur l'épaule.

«Pendant la méditation, essayez de répondre à trois questions: où étais-je avant d'être au monde, où irai-je après ma mort, qui suis-je réellement?», explique le moine, qui avoue lui-même être loin, très loin d'une réponse. Le bout des sabots noirs est décoré d'un point d'interrogation peint en blanc: le nom que lui a soufflé un moine en songe, Domuji, signifie «je ne sais rien». Même après les cinq années d'université requises pour obtenir le titre de moine. Même après les retraites annuelles d'une semaine consacrées à méditer, sans dormir ni manger. Il a mis une croix sur sa carrière d'avocat dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 à New York et de celui survenu dans le métro de Daegu, en Corée du Sud, qui a fait plus de 120 morts en 2003, préoccupé par le sens à donner à sa vie. À la vie. «Quand vous penserez avoir trouvé des mots pour répondre à ces questions, c'est signe qu'il faut recommencer au complet votre réflexion. On ne peut nommer ces choses», dit Domuji. La quête est perpétuelle.

Vers 5h, le coq chante enfin, mais il faudra attendre 6h pour rompre le jeûne avec le petit-déjeuner monacal. N'empêche que les estomacs criant famine ne seront pas tous rassasiés, car la diète monacale, végétalienne, ne plaît pas à tous: une soupe d'herbes et de racines provenant de la forêt, très amère, du kimchi, des fèves germées, des épinards bouillis et du riz blanc. Un menu presque identique matin et soir, assez insipide pour tout dire (l'usage de plusieurs épices, dont l'ail et le gingembre, sont interdits parce que jugés trop stimulants), dont il ne faut pas laisser le moindre grain dans son assiette: le gaspillage n'est pas toléré.

Puis, après quelques corvées (rien de bien difficile), la matinée est libre pour vaquer aux autres activités offertes et pour les promenades dans l'enceinte du temple - absolument magnifique - en prenant soin de respecter les consignes d'usage: bien ranger ses chaussures quand on les enlève pour entrer dans un temple, saluer les moines quand on les croise, garder le silence en tout temps, se faire le plus petit possible.

«Vous nous dérangez un peu, c'est sûr, mais votre présence est aussi souhaitable parce qu'elle nous permet d'avoir des liens avec l'extérieur, et de faire connaître notre culture», remarque Domuji, lors de la cérémonie du thé du soir, l'un des moments les plus intéressants du séjour, où les touristes peuvent, de manière exceptionnelle, discuter avec un moine (en anglais, avec l'aide d'un traducteur).

Sans se faire d'illusion sur l'hypothétique possibilité de convertir des touristes, il avoue espérer qu'ils en retireront quelques apprentissages. «Si vous ne deviez retenir qu'une seule chose, ce serait cette parabole, qui nous ordonne de ne faire que le bien, pas le mal», dit-il en pointant la fresque colorée ornant l'un des temples.

«Mais ce n'est pas toujours facile de reconnaître ce qui est bien et ce qui est mal», réplique alors une touriste.

«Si vous faites quelque chose dans votre seul intérêt, c'est mal. Si vous le faites pour les autres, c'est bien», de répondre le moine. Chose certaine, les touristes en retiendront une expérience unique. Bien plus marquante que toute autre visite de temple classique.

Les frais de ce reportage ont été payés par l'Office du tourisme coréen et le Corps culturel du bouddhisme coréen.

Le bouddhisme coréen

5 ans: Ce n'est qu'après cinq années d'études qu'a lieu l'ordination des moines, période au cours de laquelle les apprentis devront notamment couper tous leurs liens avec leur famille et leurs amis (au minimum six mois), raser leurs cheveux et leur barbe, ainsi que troquer leurs vêtements conventionnels pour un uniforme gris ou marron. Ils cohabiteront quatre ans dans une salle commune pour apprendre à vivre en harmonie.

Ni trop jeune ni trop vieux:Les moines doivent minimalement avoir terminé leurs études secondaires avant d'entreprendre leur formation, mais ils ne doivent pas avoir plus de 50 ans.

Frugal: Moins, c'est mieux: c'est ce que prône le bouddhisme coréen, qui dicte à ses pratiquants de se nourrir le moins possible, et d'aliments strictement exempts de tout produit d'origine animale, pour vivre une vie méditative. L'alcool est proscrit.

22,9%: C'est la proportion de Sud-Coréens se déclarant «bouddhistes», légèrement en baisse entre 1985 et 2005. Le christianisme est la religion la plus pratiquée (29,4%) selon le dernier recensement, mais près de la moitié de la population n'affiche aucune affiliation religieuse.

Photo Violaine Ballivy, La Presse

Séjour au temple de Haeinsa.

Symboles et architecture

Le temple coréen est le plus souvent érigé dans un environnement exceptionnel, en pleine nature; aucun d'eux ne suit exactement le même schéma architectural, bien que plusieurs éléments symboliques s'y répètent. À surveiller:

> Chaque temple compte trois portes, précédées d'un cours d'eau pour franchir symboliquement la barrière entre le monde du commun des mortels et le monde sacré. Une tête de dragon est souvent gravée sur la partie inférieure du pont pour protéger le temple contre les mauvais démons.

> Un stupa ou une pagode en pierre, où sont conservées les reliques de moines saints ou de Bouddha.

> Plusieurs statues de Bouddhas et de Bodhisattvas. Les premiers sont décorés de manière très humble, puisqu'ils ont rejoint le monde sacré, à l'inverse des seconds, qui sont ornés de colliers, de boucles d'oreilles, de bracelets, etc., puisqu'ils résident toujours dans le monde matériel pour sauver les vivants de la souffrance.

> Une grosse cloche, qui résonne avant la première cérémonie du matin.

> Le svastika, un symbole d'origine hindoue ressemblant à la croix gammée nazie, mais qui représente ici la rotation de la Terre et la roue de la loi bouddhiste. Elle orne souvent le toit des temples, en alternance avec le lotus, figure du perfectionnement spirituel, et les trois points entourés d'un cercle, symbolisant chacun l'un des trésors du bouddhisme (Bouddha, Dharma - son enseignement - et Sangha - la communauté bouddhiste).

Photo Violaine Ballivy, La Presse

Séjour au temple de Haeinsa.

Un chef-d'oeuvre à visiter: le temple Bulguksa

Inscrit au patrimoine de l'UNESCO en 1995, souvent décrit comme le plus beau de Corée, le temple de Bulguksa est celui à inscrire tout en haut de votre liste, celui à retenir si vous ne prévoyez en visiter qu'un seul pendant votre séjour.

Construit en 528, lourdement endommagé au fil des années, mais soigneusement restauré, il impressionne par sa taille et la finesse des peintures ornant tant l'extérieur que l'intérieur des nombreux bâtiments en bois, dont les avant-toits sont particulièrement travaillés et colorés. Surélevé sur des terrasses de pierre, le complexe religieux est divisé en trois parties conçues pour représenter le pays de Bouddha. On y trouve plusieurs «trésors nationaux», dont deux pagodes en pierre d'une dizaine de mètres chacune, finement sculptées dans la pierre.

Photo fournie par Arian Zwegers

Le temple Bulguksa.

Le Festival des lanternes

Si la vie des moines rime avec austérité, elle n'est pas exempte de festivités. L'anniversaire de Bouddha est célébré en grande pompe de la fin du mois d'avril jusqu'au début du mois de mai dans tout le pays, et culmine avec le spectaculaire Festival des lanternes de lotus. Autrefois organisé essentiellement dans les monastères, et à très forte connotation religieuse, l'événement se veut désormais davantage une manifestation culturelle ouverte à tous. Séoul organise ainsi, depuis 2009, un gigantesque défilé de nuit auquel participent des milliers de personnes transportant pas moins de 100 000 lanternes multicolores, parfois hautes de plusieurs mètres, symbolisant la sagesse de Bouddha éclairant les ténèbres du monde des hommes. Les visiteurs, peu importe leur religion, sont désormais invités à participer activement à la fête, qui prévoit notamment des ateliers de fabrication de lanternes.

Photo Violaine Ballivy, La Presse

Festival des lanternes à Séoul.