Il y a du karaoké et du café tout frais, mais pas d'eau dans les toilettes du pont inférieur et des voyageurs dorment sur des matelas posés à terre: bienvenue à bord de la première croisière de Corée du Nord.

Soucieuse de faire décoller le tourisme et de récolter les devises dont elle manque si cruellement, la Corée du Nord vient de lancer une croisière sur sa côte est, entre le port de Rajin et le mont Kumgang, son principal site touristique.

Dans un geste d'ouverture inhabituel, plus de 120 voyagistes chinois et journalistes, dont une poignée d'occidentaux, ont été invités par ce régime reclus à bord du Man Gyong Bong, un bateau vieux de près de 40 ans, pour sa croisière inaugurale, d'une durée de 21 heures.

Le navire a quitté le vieux port de Rajin mardi, salué par de la musique martiale, tandis que des centaines d'étudiants et de travailleurs nord-coréens portant des fleurs frappaient des mains dans un bel alignement.

«Les travaux de rénovation du bateau ont été achevés il n'y a qu'une semaine», explique Hwang Chol Nam, vice-maire de la zone économique spéciale de Rason, assis sur le pont supérieur à une table encombrée de bouteilles de bière, de fruits, d'oeufs et de plats de fruits de mer.

«Mais le bateau a déjà fait un aller-retour sur le mont Kumgang. Je leur ai dit de le tester pour être certain que ça va pour la sécurité», dit le quadra qui arbore, au revers de son costume tout neuf, un pin rouge à l'effigie du «Grand Leader», feu Kim Il-Sung.

C'est le Taepung International Investment Group nord-coréen et les autorités de Rason -- une zone côtière triangulaire dans le nord-est du pays englobant les villes de Rajin et Sonbong et jouxtant la Chine et la Russie -- qui ont mis au point ce projet touristique.

Établie en 1991 pour attirer les capitaux en Corée du Nord, la zone économique spéciale n'a jamais décollé en raison de l'insuffisance d'infrastructures, de coupures d'électricité chroniques et du manque de confiance des investisseurs.

Mais la Corée du Nord, dont l'économie est exsangue sous le poids des sanctions en raison de la poursuite de son programme nucléaire et qui connaît toujours de graves pénuries alimentaires, veut faire revivre la zone économique.

À Rason, explique M. Hwang, les autorités ont décidé de se concentrer sur trois secteurs: le fret maritime, la transformation des produits de la mer et le tourisme.

La Corée du Nord ne s'est ouverte aux touristes occidentaux qu'en 1987 et seul le voyage en groupe y est autorisé. Mais elle ouvre de plus en plus de localités au tourisme.

Le superbe mont Kumgang, sacré pour tous les Coréens et autrefois développé par le Nord et le Sud comme un symbole de réconciliation, est au coeur d'une lutte entre les deux Corées depuis qu'un touriste du Sud a été abattu en 2008 par un soldat du Nord, poussant Séoul à se retirer.

Pyongyang vient de saisir tous les actifs sud-coréens sur le mont et veut l'exploiter seul.

Les voyages organisés se déroulent sous une étroite surveillance et les seuls brefs contacts avec la population se font avec les guides, le personnel des hôtels ou les vendeurs dans les échoppes à touristes.

C'est par les vitres des autocars que les visiteurs peuvent avoir un bref aperçu de la vie quotidienne des Nord-coréens, dont beaucoup portent des vêtements monochromes, qui passent à vélo ou à bord de rares voitures dans des rues tranquilles.

Les rues sont jalonnées d'immeubles d'habitations de quelques étages, souvent décrépis, et de monuments à la gloire des Kim. Parfois, on voit des petits stands de glace au coin des rues.

À Rajin, un portrait du dirigeant actuel Kim Jong-Il et de son père défunt Kim Il-Sung accueille les visiteurs dans le hall immense d'un hôtel. Au mur, une citation de Kim Il-Sung: «les livres sont des enseignants silencieux et des compagnons pour la vie».

Dans les chambres spartiates, pas d'internet. Les lignes de téléphone sont capricieuses et chères. Les téléphones portables des visiteurs ont été confisqués à l'entrée en Corée du Nord.

Si l'internet arrive dans la région en septembre, comme l'espère M. Hwang grâce à un contrat exclusif de 26 ans avec un groupe thaïlandais, la censure sera implacable dans ce pays où les médias sont très contrôlés.

La plupart des touristes sont des Chinois. À Rason, il en arrive en moyenne 150 chaque jour pendant l'été.

Pour Simon Cockerell, directeur général de Koryo Group, une agence de Pékin spécialisée dans les voyages en Corée du Nord, Rason ne correspond pas à l'idée que l'on se fait d'une destination de vacances.

«En matière de tourisme (Rason) c'est la partie la plus obscure du pays le plus obscur, la partie la moins visitée du pays le moins visité» au monde, dit-il.

Retour sur le bateau, poursuite de la croisière. Les voyagistes chinois chantent au karaoké dans une grande salle pavoisée de drapeaux nord-coréens. Sur le pont, les voyageurs mangent des poissons séchés sur des tables en plastique.

Les meilleures cabines ont une table, des chaises et des toilettes. Les autres, le matelas à même le sol.

Il n'y a pas d'eau dans les cabinets de toilette sur le navire --qui a servi de transbordeur entre la Corée du Nord et le Japon jusqu'en 1992-- ou, sinon, elle est marron.

Mais Park Chol Su, vice-président de Taepung, nourrit de grands projets. Il veut inviter plus de 100 touristes européens en octobre.

Les autorités ont promis qu'il ne faudrait pas de visa pour participer à la croisière. Et, si tout va bien, le navire sera plus confortable.

«L'année prochaine, on veut faire plus», avoir «un bateau mieux qui peut recevoir 1000 passagers», annonce-t-il.