Bar perché à 460 mètres ou tapi dans un abri anti-aérien, comptoir gelé à -5 degrés pour déguster la meilleure vodka, Shanghai, ancienne «Paris de l'Orient» et ville vénéneuse qui accueille l'Expo universelle, a renoué avec la tradition de ses nuits animées.

Des cafés d'où s'échappent des airs de jazz, évoquant le passé des concessions étrangères, côtoient des «lounges» chics et intimes, mais aussi des bars chocs et échevelés, où des DJ à la mode attirent les expatriés et, de plus en plus, la jeunesse dorée chinoise.

Les déclinaisons shanghaïennes de concepts internationaux ne manquent pas, qu'il s'agisse de «snow» ou «ice bar», où tout est gelé dans la ville caniculaire l'été, ou de clubs privés, comme la version locale du M1NT de Cannes qui se targue d'avoir pour hôtes «des célébrités de Hollywood».

Ouvert en 2008, le M1NT shanghaïen, tout en baies vitrées et chandeliers de cristal, offre une vue spectaculaire à 360 degrés, du haut d'un 24e étage, moyennant une cotisation annuelle de 700 euros -- presque deux mois du salaire moyen des Shanghaïens.

On y est accueilli par un aquarium de 17 mètres de long où évoluent une vingtaine de petits requins.

Si les 3000 membres et 500 actionnaires sont encore majoritairement des étrangers, le M1INT «cible aujourd'hui la clientèle chinoise», indique Esther Zhou, porte-parole.

Un des aimants de cette vie nocturne huppée est le Bund, l'artère légendaire bordant le fleuve Huangpu, sur laquelle les Taiwanais ont massivement investi et qui fait face aux tours scintillantes du quartier d'affaires de Pudong, sur l'autre rive.

Mais dans la ville internationale et canaille des années 20-30 où les fumeries d'opium rivalisaient avec les maisons closes, les soirées finissent tôt, restent finalement plutôt sages et réservées à une minorité.

Annoncée comme «sexy», une soirée du raffiné Lounge 18 commence dès 20h, attirant des jeunes gens masqués de loups dorés, au sein duquel le comble de l'osé est l'ensemble pantalon-casquette vynile d'un Chinois d'une vingtaine d'années.

Dans le même immeuble néo-classique de 1923, classé par l'Unesco, l'événement «French Decadence» du Bar Rouge, qui détourne la devise française «Liberté, égalité, fraternité» en «Egalité, fraternité, perversité», prévoit un code vestimentaire fort peu sulfureux: «béret et tee-shirt rayé».

Le Bar Rouge -- meilleure vente en Asie de la maison Moët et Chandon -- a fait sien le slogan: «voir et être vu».

«Le grand jeu c'est de courir d'une soirée à l'autre, s'y faire prendre en photo pour les mettre sur son blog. Le rituel du +j'y étais+...», commente un étranger de Shanghai qui préfère l'acajou et les vieux cuirs du Yongfoo Elite, ancienne maison du consul britannique dans les années 1930, l'un des magnifiques endroits chargés d'histoire de Shanghai.

Aussi les lieux se défont-ils parfois aussi vite qu'ils se créent.

Pareillement, dans la restauration, rien n'est acquis: «les lieux se montent et se démontent très vite. La difficulté est de s'établir comme une institution sur son créneau», commente Paul Pairet, le chef français réputé de Mr and Mrs Bund, appartenant, comme son voisin le Bar Rouge, à un groupe taiwanais, VOL, installé en lieu et place de «Sens and Bund» des frères Pourcel après que les deux Français eurent jeté l'éponge.

«Nous recevons plutôt les parents de la jeunesse dorée chinoise, qui apprécient de plus en plus la cuisine occidentale. Ils forment 50% de notre clientèle», explique René-Pol Bouldoires, le gérant.

L'addition moyenne: 92$ - en restant loin du château Latour (340$ le verre).

«Shanghai va finir comme New York avec toutes les cuisines et tous les clubs possibles», s'enthousiasme le chef péruvien Eduardo Vargas qui a monté localement six restaurants et deux traiteurs «visant la classe moyenne occidentalisée».