Les vieilles dames se relèvent d'un bond. Les hommes rassemblent leur famille en bousculant tout le monde. Une mère tire sa fillette occupée à faire pipi dans la rue en regardant à la ronde d'un air mignon.

Je comprends qu'il va me falloir jouer du coude. L'autobus déglingué qui fonce vers nous est petit. Et la foule de pèlerins résolument décidés à y entrer est énorme.

 

Je suis à Tirupati, en Inde, une ville installée à l'ombre de la colline de Tirumala. Oubliez le Vatican, la Mecque et Jérusalem: Tirumala est le site religieux le plus visité au monde.

Chaque jour, une moyenne de 40 000 pèlerins convergent ici dans l'espoir d'être admis dans le temple de Venkateshwara - une incarnation du dieu Vishnu qui, selon les hindous, exauce tout voeu fait en sa présence.

Je ne suis pas ici en simple touriste. Ma blonde doit venir me rejoindre en Inde pour un voyage planifié depuis longtemps. Or, 48 heures avant son départ, son visa n'est toujours pas arrivé. Les coups de fil à l'ambassade s'étant avérés infructueux, j'ai décidé de m'adresser à Venkateshwara lui-même.

Une place dans l'autobus gagnée en bousculant ferme, un trajet de toute beauté sur une route en lacets et me voici au sommet. Surprise: le bric-à-brac anticipé est un complexe moderne de la taille d'une petite ville, sillonné par son propre réseau d'autobus.

Objectif: me procurer un darshan, le laissez-passer qui donne accès au temple. On me dit qu'un bureau délivre des laissez-passer réservés aux étrangers. Après une longue recherche dudit bureau, suivie de deux heures d'attente, on prend mes empreintes digitales et des photocopies de mon passeport. Je verse 100 roupies (environ 2,50$) et j'obtiens mon précieux darshan.

Heure du grand rendez-vous avec Venkateshwara: midi. Il est 10h30. Je plonge parmi les hordes de pèlerins, dont plusieurs ont offert leurs cheveux à Venkateshwara en se faisant raser le crâne par l'armée de coiffeurs de l'endroit. Selon des informations bien difficiles à vérifier, la moitié des perruques de la planète seraient faites de cheveux récoltés à Tirumala.

Je me perds dans la foule jusqu'à ce qu'un employé me prenne sous son aile. Sa fébrilité me gagne: je suis en retard. Au pas de course, il m'aide à court-circuiter une bonne partie des files d'attente hallucinantes qui s'étiolent dans toutes les directions.

Les appareils photo et caméras ne sont pas admis dans le temple, et je vois mon appareil rempli de souvenirs impérissables aller en rejoindre des milliers d'autres dans une immense salle remplie de casiers. Mes sandales vont rejoindre un capharnaüm semblable, et je me retrouve bientôt pressé entre des grilles de métal, dans un long corridor rempli de monde. Des clameurs religieuses agitent régulièrement la foule et, au bout de 45 minutes de lente progression, je vois finalement le temple.

Le lieu est magique. Une odeur d'encens flotte dans l'air et le temple lui-même est complètement recouvert d'or. Coincé entre des masses de pèlerins qui poussent et crient, je vois finalement la petite statue noircie de Venkateshwara. J'ai à peine le temps de faire mon voeu que je suis poussé vers l'extérieur.

La prochaine vision est irréelle. Derrière des vitres, je compte près d'une centaine de prêtres assis dans des montagnes d'argent, en train de trier les dons faits par les fidèles.

Un prêtre me bénit pendant qu'on me verse dans les mains de l'eau parfumée à la cardamome. Je mange le bol de riz aux cachous qu'on me tend à la va-vite avant d'amorcer la longue procédure pour retrouver appareil et sandales.

Le bain de foule m'a épuisé et je dors comme une bûche au retour avant de me faire réveiller par le téléphone. C'est ma blonde. Et son visa est arrivé.