Loin des plages et des hôtels, un village isolé de Bali laisse ses morts se décomposer à l'air libre, une tradition ancestrale qui intrigue de plus en plus de touristes.

«Voilà deux personnes mortes il y a environ un mois», indique I Ketut Jaksa, un adjoint au chef du village. Il désigne deux cadavres, parés de leurs plus beaux habits traditionnels, qui reposent sans sépulture, à même le sol, entourés d'effets personnels (peigne, radio, vaisselle...). Une sorte de cage en bambou les protège des chiens et des bêtes sauvages.

Le visage de l'une de ces deux femmes est encore reconnaissable avec ses longs cheveux noirs, sa bouche entrouverte et ses yeux clos. En revanche, l'autre défunte est en état de décomposition avancée, les os transperçant sa peau. Outre les dépouilles des deux femmes, de nombreux squelettes, ossements et crânes reposent sur des pierres, entre les racines tentaculaires.

Niché au bord du grand lac Batur, à l'ombre du volcan Abang, le village de Trunyan est l'un des plus isolés de Bali. Il était uniquement accessible par bateau jusqu'en 2006, avant qu'une route ne soit construite.

Les habitants de Trunyan affirment fièrement être les descendants des Bali Aga, les «Balinais d'origine», et respecter des traditions antérieures à l'hindouisme, la principale religion de l'île. Ils n'ont ainsi pas adopté la crémation, la pratique funéraire qui donne lieu à de grandioses cérémonies dans le reste de Bali.

«Toutes nos traditions nous ont été léguées par nos ancêtres. Si nous ne les suivons pas, nous risquons de tomber malade, voire de mourir, explique M. Jaksa. C'est pour cela que personne, ici, n'ose désobéir à ces rites».

Le petit cimetière a été installé sous la frondaison d'un immense figuier banian, un arbre symbole d'immortalité.

Le lieu ne peut accueillir que les défunts mariés et morts de cause naturelle, les autres étant enterrés à l'extérieur. Il ne possède que 11 cages en bambou. Au douzième mort, le corps le plus vieux est retiré et ses ossements rejoignent les autres.

Pour le visiteur, le plus étrange est de constater que les corps en décomposition ne dégagent aucune mauvaise odeur. C'est grâce aux senteurs de l'immense arbre, qui symbolise une légendaire déesse au parfum ensorcelant, explique I Ketut Sutapa, le chef du village.

«Incroyable!» s'exclame une touriste de 39 ans venue d'une autre région d'Indonésie. «Je pense que c'est le seul lieu au monde où les morts ne sont pas enterrés et qui, malgré cela, ne sent pas mauvais».

Grâce à ses étranges traditions et à l'ouverture de la route, Trunyan est devenue une étape dans les circuits touristiques, les agences de voyage promettant «une expérience inoubliable».

Les habitants de Trunyan acceptent volontiers l'argent des touristes, mais sans se montrer aussi chaleureux que les autres Balinais. Notamment par volonté de ne pas trop s'ouvrir au monde extérieur. «Car violer nos rites, ne serait-ce que légèrement, provoquerait des dommages considérables à notre village», avertit M. Jaksa.