Comme les autres paysans de Bali, I Gusti Made Sukadana va devoir s'y habituer: sa rizière voisine désormais avec de luxueuses villas, symboles d'une urbanisation croissante qui pourrait faire perdre son âme à «l'île des dieux».

Depuis six ans, la construction de maisons secondaires pour riches expatriés ou vacanciers, dont de nombreux Européens, connait un véritable boom à Bali, principale destination touristique en Indonésie.Si les promoteurs et les ouvriers en profitent, d'autres, comme Sukadana, y voient d'abord une menace pour le mode de vie si particulier de l'île hindouiste.

«Je pense que ma génération est la dernière à travailler dans les rizières de Bali», prédit, pessimiste, le paysan de 44 ans, dont le champ est bordé depuis quelques mois par les murs gris de deux villas.

«Les paysans travaillent plus mais gagnent moins. Notre principal problème est devenu l'irrigation», explique-t-il. Et de mettre en cause les constructions en béton qui perturbent et assèchent les réseaux de cours d'eau, omniprésents sur l'île et indispensables à la culture du riz.

L'urbanisation touristique a d'abord débuté par la construction d'hôtels, surtout près des plages et des sites touristiques, à partir de la fin des années 1980. Avant que n'explose le marché des maisons secondaires ces dernières années.

La vente de terrains destinés à la construction d'une villa par de riches Asiatiques ou Européens, s'est accrue de 30% par an depuis 2003, selon Hera Heronika, du promoteur Bali Property, dont l'activité n'a pas diminué avec la crise économique.

«Leurs propriétaires viennent passer l'hiver à Bali puis louent leur villa, à un prix élevé, lorsqu'ils ne sont pas là», explique-t-elle.

La plupart d'entre eux jettent leur dévolu sur des lieux calmes et verts, un peu à l'écart des stations balnéaires ayant fait la fortune de l'île, comme Kuta ou Sanur dans le sud.

«Ils aiment la vue des rizières», ces paysages sereins et ordonnés symbolisant l'harmonie de Bali, précise Dharma Putra, de l'association Bali Villa Rentals.

La location d'une belle maison, avec piscine, employés de maison, cuisinier et salle de sports, s'élève de 500 à 2500 dollars la nuit, selon lui.

Mais, à cause de telles constructions, de 600 à 1000 ha de verdure, notamment de rizières, disparaîtraient chaque année sur l'île, estime Agung Wardana, de l'organisation Les Amis de la Terre.

Cette explosion est liée, selon lui, aux réformes décentralisatrices menées par le gouvernement indonésien qui ont accru au début de la décennie les pouvoirs des autorités locales. Après des années de laxisme, ces dernières ont commencé, sous la pression d'associations, à annoncer des mesures pour réduire la pression foncière.

«Bali est une petite île. Si le nombre de villas continue à exploser, il n'est pas impossible que, d'ici à 15 ans, les touristes la fuient, n'y trouvant plus le paradis qu'ils étaient venus chercher», prévient M. Wardana.

En attendant, les Balinais se retrouvent confrontés à une hausse des prix des terrains et des taxes. Ces dernières ont ainsi quasiment doublé dans une partie du district de Badung, où Sukadana vit et travaille.

Mais, pour Chandra Kirana, patron de Bali Property, les paysans profitent aussi du boom immobilier. «Ils peuvent vendre leurs terres à un très bon prix et acheter des terrains moins chers ailleurs», souligne-t-il.